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surcharge, si elle veut rivaliser avec l’homme à cette course qu’on appelle la vie, et même dans l’état socialiste, il y a peu de chance pour elle que « la vieille loi salique de la nature » soit jamais abolie[1].

Proudhon, sur tant de points en désaccord avec Marx et son école, qui lui a pourtant fait plus d’un emprunt, répudiait ces lieux-communs sur la femme libre, comme la peste de la démocratie. Partisan de la monogamie indissoluble, il assimilait, dans son puritanisme intransigeant, l’amour libre à la prostitution, et professait pour les femmes savantes la même antipathie que Molière et Joseph de Maistre. L’homme, d’après lui, est à la femme dans la proportion de 3 à 2, l’infériorité de cette dernière est donc irrémédiable. « L’homme doit commander pour mieux servir, la femme obéir pour mieux régner[2]. » Telle était sa sentence.

Nouveaux Persées, montés sur l’hippogriffe pour délivrer Andromède, les socialistes se vantent de rompre les derniers liens qui retiennent la femme captive. Il est essentiel de la gagner à la foi nouvelle, afin que cette foi devienne la religion du foyer, et se transmette à l’enfant avec le lait. La doctrine en Allemagne, qui compte parmi les initiatrices l’amie de Lassalle, la comtesse Hatzfeldt, a commencé à se répandre dès 1870, parmi les femmes de la classe inférieure. Avec quelle ferveur de prosélytisme elles sont capables de se vouer à la révolution, l’exemple des nihilistes russes le prouve. « Aucun grand mouvement, dit Bebel, ne s’est accompli dans le monde, que les femmes n’y aient joué un rôle héroïque comme combattantes et comme martyres. »


V. — CHRISTIANISME ET SOCIALISME.

Le socialisme allemand se donne pour une religion humanitaire, pour une nouvelle conception du monde fondée sur la « science, » pour un lien entre les esprits et les cœurs. Exposons d’abord son attitude en présence du christianisme et de toute religion établie.

Le programme de Gotha ne mentionne la religion que pour la déclarer « affaire privée, » droit pour chacun de choisir et de prier le dieu qui lui plaît. Cette formule, que les États-Unis ont mise en pratique, Liebknecht, au congrès de Halle, l’a maintenue sans y rien changer, comme plus précise et plus correcte que « la séparation de l’Église et de l’État. » Son commentaire mérite d’être noté : « Je n’aime les prêtres sous aucune forme, les antiprêtres non plus

  1. Huxley, Sermons laïques.
  2. Proudhon, la Pornocratie dans les temps modernes.