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Allemagne on attribue une grande importance, la démonstration du 1er mai, sont la consécration la plus éclatante des principes internationaux.

Cependant, il convient d’indiquer ici quelques tempéramens. Le programme de Gotha disait : — « Bien qu’agissant dans les cadres nationaux, le parti a conscience de ses buts internationaux. » — Liebknecht à Halle s’est exprimé à peu près dans les mêmes termes, mais avec une nuance, en déclarant « que les buts internationaux ne leur faisaient pas oublier leurs devoirs d’Allemands. » Ils se défendent d’avoir jamais été des traîtres à la patrie, et comme la république, l’internationalisme flotte vers les lointaines régions de l’idéal. Ils prêchent la fraternité des peuples, mais ils partagent avec leurs compatriotes l’horreur et la crainte des Moscovites, qu’ils présentent, il est vrai, comme une haine de principes, non comme une aversion de races. Déclamer contre l’autocrate russe a toujours été un des thèmes favoris de la démocratie allemande. Liebknecht a déclaré solennellement au Reichstag que son parti combattrait avec enthousiasme dans une guerre contre la Russie :


Je hais le jeu du soldat,
La guerre et les clameurs guerrières,
Mais s’il faut marcher contre les Russes,
J’en suis, j’en suis !


dit une de leurs chansons. Nos sympathies pour la Russie sont un de leurs principaux griefs contre la république française.

A l’égard de la France, leur attitude est devenue légèrement ambiguë. Certes, ils protestent hautement contre la haine des Français : ils rappellent les sympathies françaises des grands Allemands, Goethe, Schiller, Herder, Humboldt, ils les citent comme modèles : « Qu’on ne se laisse pas aveugler, disent-ils, par le jeu des diplomates et les excitations des journalistes : c’est leur œuvre et leur artifice si la France et la Russie se sont rapprochées. » Ils prêchent, au contraire, l’apaisement entre deux grands peuples « appelés à défendre la civilisation de l’Ouest contre la barbarie de l’Est[1]. » — Oui, mais ils ne songent pas plus que les autres partis en Allemagne à effacer la vraie cause de la discorde des deux peuples, l’annexion de l’Alsace-Lorraine, dont ils déplorent assurément le principe et les conséquences, mais qu’ils considèrent comme un fait accompli. Dans leur inquiétude de froisser le sentiment patriotique de cette partie considérable de leur clientèle qui n’est pas positivement

  1. Lors des derniers incidens, à la suite du voyage de l’impératrice Frédéric, le Vorwaerts a flétri les articles de la Gazette de Cologne, si injurieux pour la France, protesté contre les représailles dont les Alsaciens-Lorrains ont été les innocentes victimes.