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des emplacemens abrités pour qu’elle puisse déployer sans encombre ses fragiles rameaux érigés, couverts de larges feuilles.

En parcourant les belles avenues de Guilhermain, coupées à angle droit par d’autres chemins, nous verrions souvent des files de jacquez non greffés border les plantiers. Le but pratique de cette disposition mérite d’être signalé ; on a voulu atténuer par avance les dégâts causés par la maladresse du laboureur. Quand il est parvenu à l’extrémité d’une ligne de souches, il lui faut tourner, ainsi que sa bête, pour reprendre sa marche, en sens inverse, de l’autre côté de la rangée. Excitant de la voix la mule ou le cheval, l’homme lui fait décrire un demi-cercle, pendant qu’il soulève à force de bras le soc de son « araire » et le replace dans la nouvelle direction. La dernière vigne de l’enfilade, centre de ce mouvement, est souvent foulée par les pieds du quadrupède rétif ou froissée par l’impéritie du valet. Une souche greffée résisterait mal à cette épreuve ; mais avec un jacquez franc de pied, les risques sont moins graves, puisqu’il n’y a pas de décollement à craindre.

Au milieu même des vignobles figurent aussi un certain nombre de jacquez non greffés dont la verdure sombre tranche nettement sur le feuillage clair de l’aramon. Ce sont des boutures substituées à des greffes mortes ou dessoudées par le vent. De cette façon, les travailleurs ne perdront pas de temps à poursuivre sur quelques riparias isolés, introduits après coup dans de vieilles vignes, la délicate opération de la greffé.

À Guilhermain, les défoncemens préliminaires aux plantations se sont opérés au moyen d’une charrue défonceuse tirée par six paires de bœufs : la terre a été déchirée jusqu’à 0m,60. Depuis, on a eu recours à la charrue à vapeur ; néanmoins, les étables du domaine nourrissent encore quelques bœufs servant au transport du fumier dans les terres. En sus de plusieurs chevaux, l’écurie comprend vingt belles mules du Poitou. Un palefrenier qui ne sort guère de l’écurie s’occupe à leur distribuer leur nourriture ; les charretiers, en dehors de leur travail extérieur, n’ont à s’inquiéter que du pansage de leurs bêtes.

Le personnel annuel moyen comporte environ trente-cinq personnes. Un régisseur, ancien élève de l’école d’agriculture de Montpellier, né et élevé dans la région, habite le domaine et dirige la partie technique de l’exploitation. Au paire et à sa femme incombe l’obligation de nourrir, non-seulement les vingt-cinq hommes affectés à la conduite des mules ou chevaux, mais encore quatre bouviers et un berger auxquels, il faut joindre deux charrons et un maréchal chargés de veiller à l’entretien du matériel agricole. L’indemnité de pitance est de 0 fr. 30 par tête et par jour ; on y joint des dons