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sans trêve ni repos ; on s’étonne du développement énorme que présentent les gares de marchandises des villages les plus médiocres, mais on voit mal le côté le plus intéressant. Sauf dans le voisinage de Cette, les trains circulent à travers une zone où dominent la petite et la moyenne culture, curieuses à examiner, sans doute, mais moins originales que les grandes exploitations agricoles, véritables « usines à vin » et non « fermes, » dont nous voulons parler et qui sont spéciales au pays. Nos exposés ne s’appliqueront, d’ailleurs, qu’à un terroir restreint, et nous exclurons sans parti pris, mais par nécessité d’être bref, tout ce qui concerne la région qui s’étend de Béziers à Perpignan.


I

Avant d’entrer au cœur même du sujet que nous nous sommes imposé, deux préambules, l’un économique, l’autre géographique, nous paraissent indispensables pour la clarté de ce qui va suivre.

Conformément à une très ancienne habitude qui, loin de se perdre, tend plutôt à se propager dans les alentours de la région où elle est en usage, le propriétaire bas-languedocien exploite lui-même ses terres à ses risques et périls, supportant les pertes et recueillant les bénéfices. Les possesseurs qui, pour une raison ou une autre, ne veulent ou ne peuvent pas diriger personnellement les travaux agricoles, ont recours à un intermédiaire qu’on nomme, suivant les localités, baile[1], paire[2] ou ramonet[3]. Ses foncions rappellent beaucoup celles du granger, du bordier ou du « maître valet » de certaines provinces de la France. Le paire travaille de ses mains, sans doute ; mais son rôle essentiel, analogue à l’emploi de sous-officier dans l’armée, consiste surtout à diriger les travaux et à fixer leur tâche aux valets et journaliers placés sous ses ordres, tout en surveillant l’exécution de ses commandemens. Absolument désintéressé pécuniairement de l’exploitation à laquelle il est attaché, il reçoit des gages fixes, accompagnés de dons en nature ou en argent, fixés selon l’importance momentanée du personnel, lui-même comptant comme un domestique.

  1. Expression patoise répondant au tonne français de « bailli » et employée à Arles, à Beaucaire, à Nîmes. Dans la zone de Montpellier, on appelle souvent baile le chef d’une troupe de travailleurs à la journée.
  2. Mot signifiant « père » (de famille).
  3. Nous ignorons l’étymologie de ce terme, qui n’est pas plus français que les deux précédens.