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la propriété littéraire, qui a donné lieu à tant de négociations difficiles, auxquelles la diplomatie française a pris une grande part, la suspension du régime si laborieusement établi pourrait nous causer un préjudice très sérieux. La convention de Berne ne suffirait pas pour sauvegarder nos intérêts ; car chacune des puissances signataires a la faculté de se retirer de l’union qui a été formée, et, tout en renonçant aux garanties qu’elle procure, retirer aux autres nations ces mêmes garanties. C’est évidemment la France qui perdrait le plus à l’annulation de toutes les conventions. Aussi les représentans de l’art et de la littérature ont-ils déjà fait entendre de vives protestations contre l’éventualité périlleuse qui a son origine dans l’œuvre de la commission des douanes. Sans doute, ils n’ont plus à craindre qu’aucun gouvernement honnête en revienne à tolérer la contrefaçon ; mais l’exercice du droit de propriété se verrait privé d’avantages importans qui lui sont présentement assurés.


Si l’on examine, dans ses détails, ce nouveau tarif, il est impossible de n’être point frappé de l’exagération des droits qui y sont inscrits, de l’esprit particulariste, égoïste, qui a inspiré la plupart des décisions de la commission. Les intérêts régionaux ont pris le pas sur l’intérêt national. Chacun a exigé sa part, et l’a obtenue. La commission a fait de la protection mutuelle. Quant au système, c’est le renchérissement, organisé, nous dit-on, au profit de l’agriculture, de l’industrie et des salaires. La nation sera-t-elle mieux nourrie avec le pain, la viande et le vin surtaxés ? Aura-t-elle plus de travail, quand on lui aura fermé les marchés extérieurs, et surtout quand, à l’intérieur même, le renchérissement aura fait diminuer, dans toutes les classes, le nombre des achats ? Sera-t-elle plus riche, lorsqu’elle aura à prélever sur ses revenus annuels une somme plus forte pour sa subsistance et pour les consommations de première nécessité ? Enfin, sera-t-elle plus puissante dans le monde, lorsque le ralentissement des relations internationales, après la dénonciation des traités, la laissera presque isolée ? Renchérissement et isolement, voilà ce tarif. Non, l’intérêt public ne réclame pas cette législation outrée. Ni les populations agricoles, ni les artisans, ni les ouvriers ne sont intéressés à l’adoption de ces mesures qui sont sollicitées par des groupes influens et ligués, mais en définitive restreints. La commission a cédé trop facilement à la pression de ces groupes ; il appartient à la chambre de prendre en main les intérêts de la nation.


C. LAVOLLEE.