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longtemps archi-ruinée. C’est qu’il faut autre chose qu’une statistique, plus ou moins exacte, de l’entrée et de la sortie des marchandises pour établir la situation vraie. Il y a ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas. Ces chiffres des tableaux de douane, chacun les fait parler à sa guise. La statistique, après avoir dénombré fidèlement ce qu’elle a constaté, n’est pas comptable des deniers ni des ressources qu’on ne lui montre pas, et qui existent cependant ; elle n’a point à dresser le bilan général. Ces marchandises que l’Angleterre reçoit en excès, elle les a le plus souvent payées d’avance au moyen de ce qui lui est dû au dehors et de ses bénéfices sans cesse renouvelés : elle n’en doit pas le prix. Elle les applique soit à l’approvisionnement de ses manufactures, soit à son alimentation, soit, pour une grande part, à son confort, à son luxe et à ses jouissances : car elle est riche, et elle ne craint pas les recors. Si l’Angleterre, avec ses milliards d’importations en excès, n’est point débitrice, comment prétendre que la France était, de par la statistique, endettée de 861 millions, au même titre, à la fin de 1888 ? Non, commercialement, la France ne doit rien à l’étranger. Où sont ses créanciers ? Qu’on nous les montre. Que l’honorable M. Méline se rassure. Si haut qu’il monte sur la tour Eiffel, il n’apercevra pas d’huissiers à l’horizon.

Voilà les raisons invoquées par les protectionnistes pour justifier la suppression de toute franchise commerciale et la restauration de l’ancien régime. Le rapport général est un manifeste de la protection à outrance, tel qu’on devait l’attendre des opinions connues et du talent de son auteur. Au point de vue de la discussion, il n’est pas indifférent que cette résolution de nous ramener en arrière soit affirmée aussi nettement. Il n’y a point de méprise possible ; c’est bien une revanche de 1860 que l’on poursuit, c’est une réforme radicale que l’on propose en sens inverse. Les rapports particuliers, consacrés au tarif de chaque industrie, sont empreints de la même marque ; taxes et surtaxes sur toute la ligne.


II

Le rapport général établit la doctrine, les rapports particuliers fixent les droits que la commission des douanes propose d’appliquer aux articles du tarif. Il n’est pas sans intérêt d’exposer comment il a été procédé à cette étude détaillée des nouveaux droits, travail très considérable, plus important et plus difficile qu’une déclaration de principes. Pressée par le temps, la commission ne pouvait ouvrir directement une enquête : elle a utilisé les travaux préparatoires des conseils supérieurs du commerce et de l’agriculture, les avis des chambres de commerce et des chambres