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Protéger le capital et les salaires, afin de procurer à notre pays la plus grande somme de prospérité agricole et manufacturière, en cela, tout le monde est d’accord. Nous ne différens que sur les moyens. Nous différons également sur l’appréciation des effets attribués aux traités de 1860, et sur l’interprétation des documens statistiques fournis de part et d’autre. Ces deux points, le premier surtout, sont de grande importance. S’il est démontré que la réforme de 1860 a été opportune et rationnelle, étudiée mûrement, accomplie avec la prudence nécessaire et sanctionnée, dans son ensemble, par des résultats favorables, le nouveau tarif de la commission n’a plus de raison d’être. Il ne reste plus rien qui le justifie. On ne bouleverse pas ainsi, à la légère, les conditions du travail et de l’échange dans un grand pays.

Aussi, dès le début de son rapport, M. Méline a-t-il pris directement à partie les traités de 1860. Il ne va pas jusqu’à dire, comme il est de mode dans le parti protectionniste, que ces traités ont ruiné la France ; mais il prétend que si, à cette époque, certaines réductions de droits pouvaient être inoffensives, on n’aurait dû y procéder qu’avec prudence, a en défendant pied à pied l’intérêt français, au lieu de le livrer, comme on l’a fait, les yeux fermés, dans le huis-clos d’un cabinet de ministre. » Plus loin, il affirme que, « si les traités de commerce avaient été mieux conçus dans l’intérêt français et mieux faits, s’ils n’avaient, par une condescendance déplorable vis-à-vis de l’étranger, sacrifié si gratuitement notre agriculture et tant de nos industries, la France n’aurait pas traversé les cruelles épreuves qui lui ont été infligées. » Ainsi, incapacité, voire même trahison ; le réquisitoire est complet.

Comme il est difficile d’écrire l’histoire ! Les documens relatifs au traité de commerce conclu le 23 janvier 1860 entre la France et l’Angleterre, traité qui a été le point de départ de nos tarifs conventionnels, ne forment pas moins de huit volumes in-4o, qui ont sans doute leur place dans la bibliothèque de la chambre des députés. L’honorable rapporteur général ne les a donc pas consultés ? S’il avait parcouru seulement les rapports officiels et l’enquête, il se serait épargné la peine et la disgrâce d’accusations aussi violentes qu’imméritées. Que, dans la presse protectionniste, l’on déclame encore, comme au premier jour, contre le traité néfaste et contre les tarifs bâclés, ce n’est là qu’un excès de polémique ; mais devant une assemblée qui fait les lois, il semble que l’organe d’une grande commission devrait s’exprimer avec plus de modération et d’exactitude, surtout lorsqu’il ajoute à l’influence que lui donne son mandat l’autorité de son caractère personnel.

Or, il est permis de contester, preuves en mains, l’exactitude