Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/834

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Non-seulement le traitement en commun ne choque personne, mais encore il présente un attrait réel, en faisant de la gymnastique un prétexte de réunion. Aucun peuple n’est plus sociable que le peuple suédois. Ces « Français du Nord » ont conservé une simplicité dans les habitudes, une familiarité affectueuse dans les rapports sociaux, qui se sont depuis longtemps perdues en France, sauf, peut-être, dans quelque coin de nos provinces méridionales. Et l’attrait d’une réunion journalière, où l’on se retrouve dans l’intimité, a contribué en quelque chose, sans aucun doute, à la vogue dont jouit la gymnastique à Stockholm. En tout cas, plus d’un cercle de nos grandes villes pourrait envier l’entrain de ces réunions de malades. Dans les intervalles de repos, des causeries familières s’établissent, alimentées par mille incidens du traitement et aussi par mille racontars de la ville. Entre nouveaux-venus, la glace est bien vite rompue, car à chaque instant se présente l’occasion d’une foule de services réciproques. C’est un renseignement technique qu’on demande à son voisin, c’est une assistance obligeante qu’on lui prête pour un mouvement quand l’aide fait défaut. Beaucoup d’enfans des deux sexes suivent le traitement et animent la réunion par leur gentillesse et leur espièglerie.

Le visiteur étranger est quelque peu surpris de voir tant d’entrain et de gaîté dans ces réunions où les assistans semblent, au premier abord, soumis à un traitement pénible autant que bizarre. Ces banquettes où on les étend, ces chevalets sur lesquels on leur ploie les reins, ces barreaux auxquels ils sont suspendus, pendant qu’on leur tiraille le corps et les membres, tous ces engins nouveaux pour le spectateur, éveillent dans son esprit l’idée de quelque torture du moyen âge. À son étonnement viendront peut-être s’ajouter quelques velléités de raillerie s’il observe des détails d’un autre ordre. S’il voit, par exemple, un homme s’asseoir à califourchon sur une banquette, puis un aide lui sauter à cheval sur les jambes pour les immobiliser, et, pendant ce temps, deux vigoureux gymnastes le saisir de chaque côté par les épaules, et se le renvoyer de l’un à l’autre par un mouvement de balancement semblable au rapide va-et-vient du métronome ; ou bien si le patient est soumis devant lui à ce mouvement que les Suédois appellent skruvning ou mouvement « de la vis, » qui consiste à imprimer au tronc un rapide mouvement de torsion autour de l’axe vertical de la colonne vertébrale, comme on ferait de la tige d’une vrille pour l’enfoncer dans du bois. S’il observe encore une foule d’autres pratiques singulières, dont il ne comprend pas la portée thérapeutique et ne saisit que l’excentricité, il aura peine, peut-être, à retenir sur ses lèvres cette exclamation : « Ces gens sont des fous ! »