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matériels, et de prendre la direction de leurs affaires en même temps que le soin de leur réputation ; aucun n’avait songé à leur enseigner, à leur imposer au besoin, les moyens de se préparer la sécurité pour leurs vieux jours ou de se préserver, en cas d’accident subit, du sort misérable d’un Malfilâtre ou d’un Lantara.

M. Taylor a le premier eu cette pensée, et il l’a mise en pratique avec un sentiment aussi exact des conditions de dignité individuelle à sauvegarder pour ses cliens que des nécessités générales auxquelles il s’agissait de satisfaire. Ce sera l’honneur, le grand honneur de son nom, de rester attaché à une fondation qui n’est pas seulement une institution de bienfaisance, mais qui est aussi, au meilleur sens du mot, une œuvre d’émancipation, puisque, moyennant une rétribution annuelle minime, elle fait jusqu’à un certain point de chacun des coopérateurs l’artisan de sa propre destinée.

La préoccupation de M. Taylor avait été d’assurer des ressources aux artistes condamnés par l’âge ou par les fatigues à l’impossibilité de travailler. Plus récemment, c’était afin de pourvoir aux mêmes besoins et de secourir les mêmes infortunes que les généreux fondateurs de la maison de retraite qui porte leur nom, les frères Galignani, réservaient dans cet établissement dix places gratuites à des artistes au moins sexagénaires, à leurs veuves ou à leurs filles, et qu’ils chargeaient l’Académie de désigner ces pensionnaires, au fur et à mesure des vacances qui viendraient à se produire. C’était, au contraire, aux incertitudes de la situation faite à de jeunes artistes, après des débuts relativement brillans, qu’une femme, bien généreusement inspirée elle aussi, Mme la comtesse de Caen, s’était proposé de remédier par un testament porté à la connaissance de l’Académie des Beaux-Arts, au mois d’avril 1870.

Le legs magnifique que, suivant le vœu de la testatrice, l’Académie devait appliquer au service de pensions, d’une durée de trois années chacune, aux anciens lauréats des grands prix de Rome, à partir de l’époque où ils auraient quitté la villa Médicis, avait pour objet de les exonérer d’avance des soucis inhérens à leur réinstallation à Paris et aux risques d’une vie sans appui prévu succédant brusquement à la vie si facile, si sûrement abritée dont ils venaient de jouir à Rome. Mme la comtesse de Caen avait institué l’Académie sa légataire universelle ; mais les difficultés de plus d’un genre qu’entraînait l’exécution des volontés exprimées dans son testament, l’état embarrassé des affaires que la compagnie devait régler avant d’entrer en possession des biens qui lui étaient attribués, — tout exigeait des démarches et une dépense de temps telles qu’il ne fallut pas moins de six années pour mener les choses à bonne fin. Au commencement de 1877 seulement, la somme de