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acier chargé de la fabrication des matrices pour les objets de costume ou d’équipement militaire. Après avoir, pendant plusieurs années, travaillé à pourvoir nos soldats de plaques de ceinturon et de boutons d’habit, Barye, appelé à son tour à porter l’uniforme, servit, jusqu’à la fin du premier empire, dans un bataillon du génie. Après quoi, il revint à son métier de ciseleur et l’exerça pour vivre tant que durèrent les études entreprises par lui dans l’atelier de Bosio, et, un peu plus tard, dans celui de Gros. Enfin, à la suite de quelques succès dans les concours pour les prix de Rome, concours où il avait obtenu, en 1818, une mention honorable comme graveur en médailles, et, en 1819, un second grand-prix comme sculpteur, Barye se trouva autorisé à prendre confiance dans son double talent d’orfèvre et de statuaire. Il travailla, tantôt au profit des industriels qui l’employaient, tantôt pour son compte personnel, à l’exécution de modèles destinés à la bijouterie ou à l’ameublement, en même temps qu’il s’essayait dans des ouvrages de sculpture proprement dite, dont quelques-uns, exposés au Salon de 1827, valurent à son nom un commencement de notoriété. Ce ne fut toutefois qu’après l’exposition de 1831, après la sensation produite par l’apparition du beau groupe représentant un Tigre dévorant un Crocodile, que ce nom, déjà connu des sculpteurs et des peintres, occupa décidément l’attention du public. On sait comment, pendant les quarante années qui suivirent, Barye justifia l’opinion que de bons juges avaient d’abord conçue de lui, et par quels énergiques travaux dans l’ordre de la grande sculpture, par quels délicats témoignages de science et d’habileté dans ce qu’on pourrait appeler la sculpture de genre, il a multiplié ses titres à l’estime et à l’admiration de tous.

L’une et l’autre lui sont maintenant irrévocablement acquises ; mais pendant combien de temps ne lui ont-elles pas été marchandées par ceux qui affectaient de confondre la sincère originalité de ce talent avec les audaces de parti-pris en usage chez les peintres ultra-romantiques de la même époque, aussi bien que par ceux qui, « au nom du grand art, » refusaient à ce « sculpteur d’animaux » le pouvoir et presque le droit de traiter des sujets d’un autre ordre ! L’Académie, en ouvrant ses rangs à Barye, le vengeait, autant qu’elle en avait le pouvoir, de ces erreurs ou de ces injustices, comme, — toute proportion gardée, — elle ne faisait, en accueillant M. Labrouste, qu’absoudre un prétendu révolutionnaire à outrance des torts que certaines gens lui imputaient. Peut-être le mouvement accompli dans une partie de notre école d’architecture sous l’influence de M. Labrouste n’a-t-il pas toujours eu le caractère d’un progrès ; peut-être celui-là même qui le déterminait a-t-il dans ses