Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/778

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Rien ne fut omis de ce qui pouvait, en cas de malheur, présenter quelque chance de sauvetage ; aucune précaution ne fut négligée pour garantir, autant que possible, l’intérieur de chaque corps de bâtiment ; mais au prix de quelles concessions pénibles, de quels sacrifices à la nécessité ! Ceux que leur devoir appelait alors dans ces lieux consacrés à l’étude et que l’étude avait désertés, dans ces salles de nos bibliothèques où tant de trésors de l’intelligence demeuraient entassés à côté des appareils ou des approvisionnemens contre l’incendie, ceux-là savent ce qu’un tel désordre avait de tristement éloquent, et ce qu’étaient, dans leurs caractères matériels, ces vacances auxquelles l’attente du péril condamnait hommes et choses. Si, en quittant ces salles sans vie et sans lumière, aux fenêtres blindées, aux murs dégarnis ; si au sortir de ces établissemens scientifiques, réduits chacun à n’être plus qu’un champ préparé pour le combat ou un sépulcre, on pénétrait dans les galeries de nos musées, le spectacle n’était pas moins funèbre, ni le sentiment de douleur qu’on éprouvait moins poignant. Même inertie, même silence de mort, même contraste entre la destination ordinaire des lieux et les mesures prises en vue des scènes terribles dont ils pouvaient, d’un instant à l’autre, devenir le théâtre. Là, toutefois, la lumière tombant des voûtes vitrées se répandait encore, mais une lumière plus lugubre peut-être, plus navrante encore que la nuit, parce que ses rayons inutiles n’éclairaient plus que des parois nues, des espaces vides. Les chefs-d’œuvre appartenant à tous les siècles et à toutes les écoles avaient disparu de ces galeries du Louvre, de ce grand salon qu’ils illustraient depuis si longtemps. Partout l’aspect de la désolation ; partout, jusque dans la splendeur permanente des décorations architectoniques, jusque dans le luxe de ces entablemens et de ces voussures destinés naguère à surmonter les merveilles de l’art, et qui, ne couronnant plus maintenant que le néant, semblaient par le contraste ajouter un surcroît de misère à l’aspect de ces murs dépouillés.

Et pourtant, quelles que fussent les douleurs et les anxiétés de cette époque, tous les maux ne devaient pas se borner à ceux que l’on prévoyait alors. Lorsque les délégués de l’Institut, de concert avec le ministre de l’instruction publique, M. Jules Simon, et avec les fonctionnaires des divers établissemens, travaillaient à mettre nos plus précieuses richesses à l’abri des obus incendiaires de l’ennemi, pouvaient-ils deviner qu’après avoir échappé à ce péril elles courraient bientôt d’autres risques plus effroyables encore, que nombre d’entre elles même deviendraient la proie d’autres feux, cette fois allumés sur place, et par des mains qui ne seraient plus celles de l’étranger ?