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simplement la dupe de cette perpétuelle équivoque à l’aide de laquelle lui et ses amis, depuis dix ans, subordonnent tout, les garanties libérales, l’administration, les finances, à l’intérêt du moment, à une passion de domination.

Un gouvernement vrai, sérieux, éclairé, sachant diriger ou résister quand il le faut, mais c’est ce que tout le monde demande, et c’est justement par malheur ce qui manque le plus. Où donc M. Jules Ferry a-t-il vu ces progrès de l’esprit de gouvernement qu’il s’est plu à signaler à l’Élysée-Montmartre ? Est-ce dans cette session qui vient de finir ou de s’interrompre pour quelques semaines ? Serait-ce par hasard dans cette singulière affaire des paris de courses, où le ministère, surpris et décontenancé par une révolte naïve de vertu dans la chambre, n’a plus su que résoudre et a fini par laisser tout en suspens, sans contenter la vertu, sans rassurer les intérêts compromis de nos éleveurs ? Est-ce dans cette autre affaire, tout aussi bizarre et au fond plus grave, des dégrèvemens agricoles proposés par M. Méline pour réparer les désastres de l’hiver ? Rien certes, au contraire, ne laisse mieux voir l’absence d’une direction, l’éclipsé de toute idée sérieuse de gouvernement. Il était clair et démontré que ce n’était là qu’une idée chimérique inspirée par un faux calcul de popularité, dangereuse pour le budget. M. le ministre des finances le sentait. Quelle que fût sa mauvaise humeur, livré à lui-même, il a cependant cédé par un vague effroi de l’électeur, du suffrage universel. Il a tout cédé, tout laissé voter, et il faut qu’aujourd’hui le sénat arrête le vote au passage en démontrant que ces prétendus dégrèvemens, difficiles à réaliser, onéreux pour le budget, n’auraient que des résultats puérils pour les dégrevés. Est-ce enfin dans ces maussades affaires du Tonkin, discutées tout récemment au Palais-Bourbon, qu’éclatent les progrès de l’esprit de gouvernement ? Il n’y a sans doute rien à exagérer ; les faits ne sont pas moins les faits. La situation reste visiblement critique au Tonkin, et s’il y a des Français massacrés, si les pirates promènent l’incendie jusqu’aux portes d’Hanoï, c’est la faute évidente de toutes ces expériences de gouvernement civil, de milices locales imaginées par l’esprit de système, des incertitudes de direction qui pèsent sur une colonie naissante : c’est la suite d’une fausse politique ! Non, en vérité, on ne voit pas où est ce progrès des idées de gouvernement dont M. Jules Ferry parle en homme satisfait ; et le seul moyen de le réaliser sérieusement, aujourd’hui comme hier, serait de se décider à gouverner le pays pour le pays, non pour un parti.

Quelle signification peut avoir dans la politique, telle qu’elle est faite aujourd’hui, dans la dispersion ou la confusion des partis et des opinions, la mort du prince Napoléon ? Elle a certes l’indéfinissable et émouvant intérêt des drames intimes où se trouvent mêlés des personnages publics réunis autour du chevet d’un mourant. Pendant quelques jours,