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retombée de ses cadences, son frêle contre-chant de hautbois. C’est un aimable cantique de première communion pour des blondins de douze ans et des petites filles pleurant de joie dans la blancheur de leur voile ; ce n’est pas l’hymne effaré, éperdu, d’un homme qui vient de voir Dieu face à face et qui rapporte le regard et la parole du Très-Haut. Je voudrais ici sur la musique plus que le reflet d’une religiosité pâle : la flamme divine elle-même ; je la voudrais enthousiaste, c’est-à-dire ayant Dieu en elle, et elle ne l’a pas. Cette soif, cette faim dont parle le librettiste du Mage, la musique de M. Massenet ne les apaisera pas. Le pain qui nourrit, le vin qui désaltère, cherchez-les ailleurs : dans la prière de Moïse, dans le finale du Prophète, dans le baptême de Polyeucte, et surtout dans l’admirable, l’incomparable banquet mystique de Parsifal. Là rayonnent d’une double lumière un génie et une âme qui, cette fois au moins, furent égaux ; là vous trouverez le poète, le penseur, je dirais presque le prêtre, dignes du musicien, et le beau vous apparaîtra comme la splendeur non-seulement du vrai, mais du bien. Sans exiger de M. Massenet cette grandeur philosophique et morale, on pouvait espérer de lui un plus profond sentiment religieux. La vision de saint Jacques dans le Cid était d’une tout autre couleur, et la scène du Mage avec son développement banal, ses réponses des chœurs, la progression en triolets et la reprise de rigueur, je donnerais, hélas ! tout cela pour réentendre la belle prière de Rodrigue et surtout ces mots : Ah ! le souffle d’en haut a passé sur ma face, que M. Jean de Reszké, un absent dont il faut se souvenir, jetait avec un si beau cri de divine épouvante.

Pour avoir tout dit, il ne nous resterait plus qu’à signaler, dans le troisième acte aussi, une cantilène de l’opiniâtre Varedha : Sous tes coups tu peux briser tout mon corps qui t’aime. La coupe littéraire et musicale en est originale, mais le sentiment encore un peu mièvre, et la formule, opposition de force et de douceur, trop habituelle à M. Massenet. Au quatrième acte, on a regretté l’éblouissant ballet du Cid et cru retrouver dans la bénédiction du prêtre la voix de Capulet conduisant Juliette à l’autel. La meilleure page de l’acte est la mélopée de la pauvre Anahita. Elle se plaint sur l’air de son pays entendu au premier acte et très poétiquement ramené ici. Oyez, cette fois, le joli langage.

Vers le steppe aux fleurs d’or
Laisse-moi prendre l’essor
Laisse-moi voir encor
Mon beau ciel pâle,
Où la neige en neigeant
Sous la lune à l’œil changeant
Fait germer dans l’argent
Des fleurs d’opale.