Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/702

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La mère, enfin, par sa douceur, sa résignation, sa raison, fait comme un fond adorable à la silhouette de sa fille. Du commencement à la fin, elle parle, elle agit selon la vérité, selon la justice et selon la bonté. C’est bien avec cette surprise qu’elle devait accueillir la demande de Jacques ; avec cette prudence et cette angoisse, la discuter d’abord, hélas ! et s’y résigner. Tout est nuancé dans ce joli rôle, et c’est sur des lèvres maternelles que l’auteur a mis les choses les plus délicates, de celles qui feraient pardonner plus d’une erreur à l’homme capable de penser et de parler ainsi : « Simone est une malade, bientôt une mourante ; il me semble que cela fait d’elle une petite créature sacrée, à laquelle sa mère seule a le droit de toucher ; personne que moi ne doit approcher de sa souffrance. J’hésite à partager sa garde avec un autre, un étranger, un homme qui ne serait pas vraiment son mari, et si je le faisais, je croirais violer une sorte de mystère. »

Vous le voyez, les personnages qu’on eût appelés jadis les personnages sympathiques se sentent instinctivement froissés par la donnée du drame. Ils en soulignent eux-mêmes, et c’est assez crâne à l’auteur de le leur avoir permis, non pas l’inconvenance, mais l’équivoque et l’obscurité. La morale de tout cela ? dira-t-on. M. Lemaître, qui l’a cherchée en discutant lui-même son œuvre, l’a peut-être trouvée dans les propos du bon docteur Doliveux : « Il y a, dit-il à Jacques, dans votre acte de charité quelque chose de trop concerté, un fond de curiosité égoïste… et cela ne peut pas bien finir… » — Nous avons vu comment cela finit. Qu’une bonté réelle puisse coexister avec le dilettantisme, c’est l’avis de M. Lemaître et un peu le nôtre aussi ; l’auteur a eu le tort seulement de donner le pas, chez de Thièvres, au dilettantisme sur la bonté. Enfin, que Mariage blanc soit un drame qui fait réfléchir çà et là sur la charité et le dilettantisme, avec M. Lemaître encore nous en convenons bien volontiers, et les œuvres qui font réfléchir ainsi ne sont pas, après tout, si communes.

Mariage blanc est joué par Mme Pierson avec une simplicité douloureuse, par Mme Marsy avec l’âpreté pénible que réclame sa pénible lâche. Le talent considérable de M. Febvre, qu’on a universellement loué, nous a paru tourner ici plus au détriment qu’au profit du personnage. Une voix lourde et sèche, un air cassant, des gestes indifférens et sceptiques, un cigare, notamment, allumé, à la fin du premier acte, avec une désinvolture choquante ; enfin, la composition entière du personnage a tout accentué au lieu de tout adoucir. Quant à Mme Reichemberg, elle a été complètement et constamment exquise. C’est merveille qu’une si petite personne soit une aussi grande artiste.


CAMILLE BELLAIGUE.