Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/695

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On ne saurait donc donner de meilleur conseil aux symbolistes que de renoncer à ce style habituellement inintelligible dont ils font profession, quand aussi bien ce ne serait que pour éviter le reproche de le faire servir d’enveloppe à l’indigence de leurs pensées. Car, après tout, il n’y a rien de plus facile que d’écrire inintelligiblement, mais, sous cet inintelligible, s’il y a par hasard quelque chose, le difficile serait précisément de réussir à l’en dégager. Nos symbolistes n’y sont pas encore parvenus. Et sans doute, c’est qu’ils ne l’ont pas pu ; mais, s’ils ne l’ont pas pu, j’en crois voir une raison qu’il est bon de leur signaler.

A vrai dire, il y a contradiction, ou, du moins, discordance entre le principe et l’objet de leur esthétique. Engagés qu’ils sont encore dans les habitudes de l’école qui les a précédés, ils ne savent pas s’abstraire d’eux-mêmes ; ils ont ce culte ou cette superstition du moi, qui fut jadis, comme l’on sait, la religion du romantisme ; et toute leur crainte, où beaucoup de vanité se mêle à beaucoup d’enfantillage, est que nous ne confondions les titres de M. Jean Moréas avec ceux de M. Gustave Kahn ou l’esthétique de M. Vielé-Griffin avec celle de M. de Régnier. Si cependant il n’y a de symbole que du général ou même de l’universel, c’est-à-dire, — comme ils en conviennent, et comme, au surplus, on le prouverait aisément par l’histoire du mot, — s’il faut être au moins deux pour qu’il y ait symbole, celui qui le propose et celui qui le comprend, ou si plutôt, à bien y regarder, c’est une espèce de consentement commun qui fait la vérité du symbole, ils n’ont pas encore découvert le moyen de concilier ces contraires. Et même, ce qu’il y a jusqu’ici de plus étrange dans tout ce qu’ils nous ont donné, prose, vers ou critique, c’est ce qu’ils y juxtaposent de sensations particulières jusqu’à en être artificielles, et de sentimens ou de vérités banales jusqu’à en paraître naïves. J’imagine qu’ils le doivent à la pratique des Fleurs du mal et aux pernicieux exemples de Charles Baudelaire.

Mais il faudra pourtant qu’ils se décident, et qu’entre les deux tendances auxquelles on dirait qu’ils s’abandonnent tour à tour, ils prennent enfin parti. Le baudelairisme, si j’ose me servir de ce mot, est de toutes les formes de la poésie la plus étroite et surtout la moins naturelle. Si le symbolisme en est, au contraire, la plus large et, pour ainsi parler, la plus universelle, comment serait-on à la fois symboliste et baudelairien ? Rien n’a plus contribué peut-être que cette indécision, que cet équilibre instable de leurs goûts entre des maîtres aussi différens, à gêner nos symbolistes, et, en les gênant, à les empêcher de nous donner l’œuvre qui les soustrairait enfin à la juridiction des mauvais plaisans.

Ce qu’en tout cas je tiens à dire, c’est que s’ils ne nous la donnaient