Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/687

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nom qu’elle avait usurpé. Si l’auteur d’Adam Bede et l’auteur d’Anna Karénine sont des naturalistes, M. Zola n’en est pas un. Quiconque donc le lui reprochera, symboliste ou décadent, de quelque nom qu’il se pare ou s’empare à son tour de quelque doctrine qu’il se réclame ou qu’il se recommande, non-seulement il aura raison, mais il faudra qu’on l’applaudisse, et au besoin qu’on l’aide. Tel que l’a conçu M. Zola, tel qu’il le représente encore, et ses rares disciples avec lui, le naturalisme a fini sa journée.

Si nous lui devons d’ailleurs quelques services, — dont nous ne voulons pas contester, mais dont il ne faut pas non plus exagérer l’importance, — et si ses conseils, plutôt que ses exemples, ont ramené le roman contemporain à une observation plus précise de la réalité, ce n’aura pas été sa faute, et je lui disputerais jusqu’au droit de s’en vanter. Comme rien, dit-on, ne se perd dans la nature, rien aussi ne s’y crée. Le naturalisme contemporain n’étant qu’une application du positivisme au roman, d’autres, sans doute, l’auraient inventé, si ce n’avait pas été M. Zola. Mais lui, tout ce qu’il a fait, en n’en développant que les côtés les plus vulgaires, ç’a été bien plutôt d’en compromettre, et non pas d’en aider la fortune. Il nous aurait dégoûtés d’observer la nature, si l’on n’y rencontrait que des Quenu-Gradelle et des Rougon-Macquart. Et nous sommes heureux que l’on commence enfin de s’en apercevoir, et nous aimons d’abord du symbolisme contemporain l’utile réaction qu’il est contre le naturalisme de l’Argent et de Pot-Bouille. Ajoutons-y celui de Germinie Lacerteux et de la Fille Élisa.

C’est qu’aussi bien toute esthétique naturaliste a nécessairement quelque chose d’étroit, d’incomplet et de mutilé. Elle réduit l’objet de l’art à l’imitation de la nature, et, en le faisant, elle n’oublie qu’un point : c’est qu’il y a des arts qui ne sont pas d’imitation. Ni l’architecture n’imite, à proprement parler, les lignes de la nature, ni la musique, non plus, n’en imite les bruits. Où est « l’original » d’une cathédrale gothique ? et quelle scène de la vie privée a jamais servi de « modèle » à une symphonie ? L’architecture et la musique ont leur objet, leurs moyens, et leurs lois en elles, pour ainsi dire, ou dans la convention primordiale dont elles ne sont que le développement, et ces lois, ces moyens, ou cet objet n’ont rien de commun avec la reproduction ou la traduction du réel.

Mais il suit de là que toute une partie de l’art est autre chose et quelque chose de plus qu’une imitation de la nature. Il suit encore que, tout en nous séduisant par « l’imitation de choses dont nous n’admirons pas les originaux, » la peinture et la poésie, sans méconnaître leurs conditions, peuvent se proposer de produire en nous des effets plus ou moins analogues à ceux de la musique ou de l’architecture. Et il suit enfin que l’art, en général, peut corriger, rectifier,