Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/682

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contractant que des engagemens spéciaux, éventuels et temporaires, en mesurant ses concessions sur celles qu’on lui faisait. C’était la méthode du pari passu, et cette fois M. de Bismarck dut faire les premiers pas. Grâce à M. Windthorst, la réforme douanière fut acceptée par le Reichstag ; le lendemain, il reprenait toute sa liberté, combattait de nouveau le gouvernement, et, dans l’occasion, unissait les voix du centre à celles des progressistes, des socialistes, des Polonais, des guelfes, des Alsaciens-Lorrains. Ce grand tacticien parlementaire ne s’entendait pas moins au métier d’agitateur et de tribun. Il faisait des tournées en Allemagne, présidait des réunions publiques à Cologne, à Dusseldorf, à Munster, déclarait que ce n’était pas assez de laisser dormir des lois persécutrices, qu’il fallait les abolir, qu’il n’aurait pas de repos avant que les catholiques fussent rentrés dans tous les droits dont ils étaient déchus, qu’il s’engageait à les garantir contre les retours offensifs de l’ennemi : « Ce que nous avons fait jusqu’ici, s’écriait-il, n’est qu’un jeu d’enfant au prix de ce qui nous reste à faire, et comptez sur moi, nous le ferons. »

M. de Bismarck avait échoué dans ses efforts pour détacher l’armée de son général, le troupeau de son berger. Il s’avisa d’un autre expédient, il essaya de traiter directement avec le pape. Dans les mois de mars et d’avril 1880, par l’intermédiaire du prince de Reuss, des négociations avaient été nouées à Vienne entre la Prusse et la curie romaine, pour établir un modus vivendi que les catholiques pussent accepter, et M. de Bismarck donnait à entendre qu’il serait le plus accommodant des hommes si le saint-père consentait à désavouer le parti du centre et son chef, ou tout au moins à les admonester, à les rappeler au devoir. Le 20 avril, il écrivait au prince : « A quoi nous sert l’assistance toute théorique que nous donne le saint-siège contre les socialistes, si le parti du centre, qui proteste de sa soumission absolue aux volontés du pape, les soutient contre nous et prend sous son patronage tous nos ennemis ? .. Ce parti compte parmi ses membres des personnages appartenant à la plus haute noblesse, et je ne puis m’expliquer l’opposition systématique qu’ils nous font que par l’influence des confesseurs sur les hommes et surtout sur les femmes. Il suffirait, j’en suis certain, d’un mot du pape ou des évêques et même du plus discret avertissement pour mettre fin à cette alliance contre nature de la noblesse catholique et du clergé avec les ennemis de l’état. » Et comme on fermait l’oreille à ses insinuations, il écrivait encore : « La question est de savoir si le pape n’a pas la volonté ou n’a pas la puissance de modifier la politique du parti du centre. Si c’est la volonté qui lui manque, que nous parle-t-il de ses dispositions conciliantes ? Si c’est la puissance, à quoi bon nous entendre avec lui ? » C’était le raisonnement d’Epicure : ou Dieu veut ôter le mal de ce