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gloire à les bien remplir et incapables de jouer au plus fin avec leur roi.

Cependant, lorsque le comte Borries eut lassé tout le monde, bourgeoisie et noblesse, par son humeur tracassière et sa pédanterie administrative, George V consentit à faire entrer M. Windthorst dans son nouveau cabinet ; mais il persista à le tenir pour un serviteur d’une foi douteuse, qui demandait à être surveillé. Il n’admettait pas la responsabilité collective des ministres, il entendait être le seul président du conseil, et il en voulait à M. Windthorst d’exercer sur ses collègues l’ascendant d’un mérite supérieur. Il lui reprochait aussi de manquer quelquefois de franchise, de chercher des biais, des détours, de ne pas tout lui dire. Par momens, il le soupçonnait d’avoir de noirs desseins, de méditer de secrètes trahisons. Il dit un jour à M. Meding : — « Quand Windthorst est mon ministre, il me semble que je navigue sur un vaisseau au mât duquel flotte mon pavillon et qui suit la direction que je veux suivre. Je me couche un instant, je m’endors, et quand je remonte sur le pont, je vois flotter au mât un drapeau qui n’est pas le mien, et le navire a changé de route. » — C’étaient là les erreurs d’une imagination prompte à s’effarer, de véritables injustices d’aveugle. M. Windthorst, il l’a prouvé depuis, était loyalement attaché à son souverain ; mais il le regardait comme un de ces hommes à qui on ne fait prendre d’utiles résolutions qu’en leur donnant de méchantes raisons, et il gardait les bonnes pour lui. Quand on méprise les préjugés, on méprise aussi les scrupules.

Dès les premiers mois de 1865, George V était mécontent de son cabinet ; un incident l’en dégoûta tout à fait. Ses ministres lui avaient proposé et fait agréer une extension du droit de suffrage, en s’attachant à lui démontrer que cette réforme n’avait aucune importance politique, qu’elle n’était destinée qu’à simplifier la procédure électorale. Le projet de loi fut présenté à la chambre, qui le vota, et, au cours de la discussion, quelqu’un le qualifia de mesure libérale. Ce propos malsonnant offensa l’oreille chatouilleuse du roi. Le soupçonner d’entrer en composition avec le libéralisme ! Que ne l’accusait-on d’avoir fait un pacte avec le diable ! Il refusa tout net sa ratification. Les ministres lui déclarèrent que s’il persévérait dans son refus, ils se verraient forcés de lui remettre leurs portefeuilles. Il les prit au mot, et le comte Platen le pressa en vain d’offrir une place à M. Windthorst dans le nouveau ministère. M. Windthorst l’avait trompé, M. Windthorst avait participé à une nouvelle conjuration du Grutli ; M. Windthorst, en essayant d’exercer une pression sur sa volonté sacrée, s’était rendu coupable d’un crime de lèse-majesté. Il ne voulait plus entendre parler de ce faux ami, plus dangereux qu’un ennemi déclaré, et c’est ainsi que les princes s’appliquent à mériter leurs malheurs.