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M. Windthorst, à qui on a fait des funérailles dignes d’un prince, d’un feld-maréchal ou d’un président de conseil, n’était pourtant qu’un simple député au parlement impérial et à la chambre prussienne ; mais il dirigeait un grand parti d’opposition, et il en avait fait une puissance avec laquelle avait dû compter un homme d’État omnipotent qui ne comptait avec personne. Gambetta disait un jour : « Il est plus difficile de gouverner un parti qu’un pays. » Il avait raison. Un parti est un peuple de col raide et de lumières courtes, qui a grand besoin d’être conduit et qui ne peut souffrir qu’on le conduise. Il se compose toujours de simples et d’habiles. Les premiers, qui constituent ce que lord Palmerston appelait de belles forces brutes, sont attachés surtout à ce qu’il y a de plus déraisonnable, de plus absurde dans leurs opinions ; ils n’entendent rien aux finesses de l’art, ils n’ont de goût que pour les gros principes, les gros raisonnemens, les grosses couleurs et les gros vins. Les habiles sont, pour la plupart, des jaloux et des brouillons, qui, se croyant aussi capables que leur chef, aspirent secrètement à le remplacer. Ils travaillent en tapinois à désagréger la bande ; ils aiment mieux jouer les premiers rôles dans un peloton que les seconds dans un régiment. Pour retenir tout son monde autour de lui, le chef de parti est tenu de ménager les préjugés et l’entêtement des simples, de caresser et de séduire l’ombrageux amour-propre des habiles. S’il n’avait des attentions et des soins infinis, si, un seul instant, il perdait de vue son troupeau, il serait bientôt un berger sans brebis. Ajoutez qu’il n’a pas, comme un ministre, des places adonner, des faveurs, des grâces à distribuer ; qu’il ne peut répandre sur personne la rosée du ciel et la graisse de la terre. Ses seules ressources sont les persuasions et son autorité personnelle. Il est tenu de s’imposer, et il faut que son joug paraisse doux, que son fardeau semble léger.

M. Windthorst, qu’on avait surnommé « la petite Excellence, » a été un incomparable chef de parti. Vingt années durant, il a su tenir son troupeau rassemblé autour de sa petite personne, le gardant de toute injure, le préservant à la fois des entreprises du loup et des divisions intestines, des défections, des zizanies, des infidélités. Il lui imposait cette discipline sévère qui fait la force des armées, et, maître absolu, il sauvait les apparences par sa bonne grâce. Son parti se composait d’élémens fort hétérogènes : on y trouvait des laïques, des prêtres, des grands seigneurs, des bourgeois, de petites gens, des conservateurs féodaux et des démocrates. Aile droite et aile gauche, on était toujours d’accord, on mettait de l’ensemble dans tous les mouvemens, les manœuvres étaient exécutées avec une précision militaire, et si bas qu’il parlât, la voix du chef était toujours entendue. Il n’avait pourtant non-seulement rien à donner, mais rien à promettre ; il ne conduisait pas ses troupes à la conquête du