Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Résumons-nous. Un demi-siècle de travaux, dont la réussite incontestée est un honneur pour notre pays, a fait de Rouen et de la Seine ce que nous les voyons. Leur influence sur le développement de la prospérité publique s’est fait progressivement sentir par l’accroissement du trafic et les diminutions successives des prix de transport. Achevés d’hier, ils n’ont pas encore donné tous les résultats qu’on doit en attendre. Par eux, par le chemin de fer, Paris, sans avoir à se déplacer, sans avoir à transporter à l’ouest tous ses établissemens, toute sa vie d’affaires, peut, quand les intérêts commerciaux et financiers y trouveront leur compte, devenir un des grands entrepôts du monde. Et c’est là ce qu’on voudrait détruire ! Et dans quel dessein ?

Substituer à la Seine ainsi améliorée une voie qu’on appelle maritime, mais qui sera toujours pour le navire de mer une étroite et sinueuse rigole, d’un parcours lent, difficile et souvent dangereux ; troubler toutes les communications entre les populations des deux rives de la Seine ; couper en deux une des cités les plus actives, les plus industrieuses du pays ; rendre difficile et onéreuse l’exploitation d’un de nos grands chemins de fer ; déshonorer l’admirable vallée de la Seine, en stériliser les bords, y déprécier les propriétés ; transformer en cloaque pestilentiel une partie de ce beau fleuve, voilà ce que l’on veut. Et pourquoi ? Pour des avantages économiques dont la supériorité n’a pu être prouvée, et qui ne sauraient, dans les hypothèses les plus favorables, dépasser ceux que la situation actuelle, sans incertitudes, sans aléas, sans déceptions, sans nouveaux frais, permet d’obtenir dès aujourd’hui ; et tout cela, au prix d’efforts considérables et d’une dépense qui sera peut-être le triple de celle qu’on annonce tout d’abord.

La conclusion s’impose.

Rêver une œuvre gigantesque est moins difficile que de faire une chose utile. Mais, en ces matières, les choses utiles sont seules dignes d’occuper notre raison, d’émouvoir notre patriotisme.


J. FLEURY.