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grandes villes. Ferons-nous donc moins que Bruxelles, Rome et Manchester ?

Il est probable, en effet, que ces divers projets ont eu une certaine influence sur le réveil de Paris port de mer. — C’était, il y a trois ans, une sorte d’entraînement suggestif, comme celui qui fit se noyer les moutons de Panurge. On a même parlé alors de Vienne port de mer. Il est aujourd’hui question de Cologne port de mer, ce qui est beaucoup moins inexécutable, mais probablement assez superflu, puisque Anvers et Rotterdam sont là. Avant, d’ailleurs, de tirer de ces rapprochemens la conclusion que Paris port de mer est à faire, il faudrait voir si les conditions et les données sont les mêmes. Rome port de mer n’est pas près d’être fait, et rien n’indique que l’opération repose sur une appréciation raisonnée des besoins économiques de la ville éternelle. En tout cas, de Rome à Fiumicino, il y a moins de 30 kilomètres. De Bruxelles à l’Escaut par le Rupel, il y a davantage. Les exigences y étaient en revanche plus modestes qu’ici : les difficultés y seraient beaucoup moindres, et cependant le coût kilométrique y dépasse sensiblement celui du projet que nous venons d’examiner. Quant au ship-canal de Manchester, qui s’exécute en ce moment, qui, avant deux ans, sera en exploitation, les motifs qui ont déterminé sa construction ne se retrouvent pas ici.

A Manchester, il s’agit surtout d’une grande navigation transatlantique au parcours de laquelle les 56 kilomètres du canal peuvent s’ajouter, sans influence bien sensible, sur le prix du voyage. En outre, le fret de sortie fourni par toutes les grandes industries et les charbonnages dont les produits rayonnent vers Cotton-City est égal et probablement supérieur au fret d’entrée. Enfin, entre la grande cité manufacturière et la Mersey, il y a actuellement une circulation de près de 10 millions de tonnes, qui, en cumulant les taxes devenues excessives du port de Liverpool, les frais résultant de l’organisation oppressive de son camionnage et les prix élevés des chemins de fer coalisés, paient pour leur transport de 15 à 26 francs, suivant les espèces. Réduire des deux tiers, peut-être plus, ce chapitre de leur prix de revient a paru aux manufacturiers de Manchester un avantage suffisant pour les engager à souscrire, sans espoir de rémunération directe, le capital de 200 millions (plus de 3 millions 1/2 par kilomètre) qui leur a été demandé tout d’abord, qui est aujourd’hui absorbé et auquel il faut, par des émissions successives d’obligations, ajouter de gros supplémens.

Conclure par analogie dans des affaires de ce genre, c’est vouloir tomber dans de coûteuses erreurs.