Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/648

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

remarquera, n’est absolument dirimante. On y peut échapper par des modifications du projet, qui ne se traduiront jamais que par un supplément de dépense, considérable, il est vrai. Sans doute, quoi qu’on fasse, on n’aura jamais rien qui ressemble à ces grands fleuves maritimes, la Tamise, la Mersey, l’Escaut, le Tage, dont les embouchures, par leur vaste étendue, leur profondeur, leur facile accès, sont plutôt une continuation de l’océan ; rien non plus qu’on puisse comparer à la Clyde, à la Tyne, au Saint-Laurent, auxquels un travail habilement conduit pendant quinze et vingt ans a donné en profondeur et en largeur les dimensions de véritables bras de mer, et qui font de Glascow, de Newcastle et de Montréal des ports de premier ordre. Ce qu’on pourra obtenir, quelque peine et quelque argent qu’on y mette, ne sera jamais qu’une route longue, sinueuse, où la circulation sera toujours difficile, lente, non exempte d’accidens, et qui, néanmoins, aura coûté fort cher.

Mais l’utilité est la mesure des choses, et si cette route, malgré ses imperfections, doit avoir une utilité suffisante pour compenser les sacrifices de toute nature qu’elle imposera, il ne faut pas hésiter à la faire. Voyons donc cette utilité.

Qu’espère-t-on tout d’abord ? Mon Dieu ! on procède assez modestement, et pour débuter, le projet ne prévoit pour la première année qu’un mouvement de 1,260,000 tonneaux, fournis à raison des deux tiers, soit 840,000 tonneaux, par la navigation au long cours, le reste par le cabotage.

Or, à Rouen, le mouvement qui, en 1889, a été de 822,000 tonneaux, se compose de 126,000 tonneaux seulement au long cours, de 522,000 au grand cabotage et de 175,000 au petit.

Les longs courriers, en effet, ont des tirans d’eau qui leur rendent difficile l’accès de la Seine maritime, ils n’y viennent qu’exceptionnellement ; et tant que l’amélioration si désirable de cette partie du fleuve n’aura pas été réalisée, Rouen ne sera qu’un port de grand cabotage. C’est au Havre que les longs courriers continueront d’aller, et leur proportion dans le tonnage général de ce port est, en effet, presque égale à celle du grand cabotage (969,000 tonneaux contre 1,060,000). Remarquons d’ailleurs, en passant, que plus de la moitié du tonnage (500,000 tonneaux) au long cours du Havre appartient aux grandes lignes transatlantiques, postales et autres, auxquelles la nature accélérée de leur service interdirait en tout cas la montée de la Seine.

Ce n’est donc pas en drainant le long cours actuellement dirigé sur les deux ports du Havre et de Rouen, défalcation faite des 500,000 tonneaux dont nous venons de parler, qu’on réalisera les espérances sur ce point des auteurs du projet.

Leurs visées sont, d’ailleurs, plus hautes ; ce n’est pas le