justement remarquer, il lui eût appartenu de « transmettre son pinceau, comme les rois transmettent leur sceptre[1], » et, jusqu’au moment où il succombait à son tour, garder sans défaillance l’activité de son génie et l’énergie de sa volonté. Bien peu de jours avant celui qui devait être pour lui le dernier, Ingres, malgré son grand âge, travaillait encore avec une ardeur presque juvénile à des répétitions plus ou moins modifiées de quelques-uns de ses anciens ouvrages, sans pour cela renoncer à l’espoir d’en produire de nouveaux, sans se refuser même parfois la réalisation immédiate de cette espérance : témoin un beau dessin représentant Midas et le barbier, qu’il exécuta vers cette époque, et qui soutiendrait sans désavantage la comparaison avec les œuvres de même espèce sorties autrefois de sa main. Qui sait si, avec les ressources exceptionnelles dont elle semblait rester pourvue, la vie d’Ingres n’eût pas pu se prolonger jusqu’aux limites qu’avait atteintes celle de Titien, mort, à quelques mois près, centenaire[2] ?
Ingres était entré dans sa quatre-vingt-septième année lorsqu’il mourut (13 janvier 1867). Il avait appartenu à l’Académie des Beaux- Arts pendant près d’un demi-siècle, et renouvelé ainsi un exemple de longévité académique que, jusqu’alors, l’architecte Fontaine avait été seul à fournir dans les mêmes proportions ; mais, avant la fin de l’année suivante, un autre grand artiste disparaissait qui, durant une période de temps plus longue encore, avait, en qualité d’associé étranger, figuré sur la liste des membres de la Compagnie, et, comme autrefois Haydn, ajouté à la gloire de celle-ci l’appoint d’une importance personnelle incomparable et d’une renommée universelle. L’élection de Rossini remontait à l’année 1823, par conséquent à une époque où l’auteur du Barbier n’avait pas encore écrit Guillaume Tell, mais où ses titres, aussi nombreux déjà qu’éclatans, justifiaient de reste l’empressement avec lequel on l’avait appelé à occuper la place devenue vacante par la mort de Paisiello. A partir de ce moment, il avait presque continuellement résidé à Paris, où, sans assister régulièrement, il est vrai, aux séances périodiques qui réunissaient ses confrères, il entretenait avec la plupart d’entre eux des relations assez habituelles pour ne pas se montrer indifférent, encore
- ↑ Allocution prononcée par M. Beulé, secrétaire perpétuel de l’Académie, aux funérailles de M. Flandrin.
- ↑ Dans la nuit du 8 au 9 janvier 1867, Ingres avait quitté son lit pour aller, à demi nu, ouvrir une fenêtre et dissiper ainsi la fumée répandue dans sa chambre par un tison qui venait de rouler de l’âtre de la cheminée sur le parquet. Une fluxion de poitrine se déclara à la suite de cette imprudence et amena la mort au bout de cinq jours.