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Salon de 1848 et des décisions déjà prises par le jury académique ? Accepter les unes et continuer tout uniment les autres paraissait un procédé trop peu démocratique. Recommencer les opérations sur nouveaux Irais et prononcer les exclusions ou les admissions à ses propres risques, il n’y fallait pas songer, sous peine d’encourir soi-même les reproches d’abus de pouvoir et de favoritisme qu’on avait tant de fois adressés à d’autres. Pour échapper aux difficultés ou aux dangers des jugemens à rendre, on prit le parti de ne rien juger ; pour être bien sûr de ne fournir un sujet de plainte à personne, on résolut d’accueillir tout le monde. En d’autres termes, au lieu d’être comme par le passé un lieu d’élite réservé aux œuvres d’artistes dignes de ce nom, le Salon devint du jour au lendemain un terrain banal, une sorte de champ de foire où chacun avait licence d’exposer ses produits, depuis les maîtres peintres jusqu’aux peintres d’enseigne, depuis les sculpteurs ou les graveurs d’un talent éprouvé jusqu’aux fabricans de statuettes pour les pendules ou d’images pour les livres d’enfans.

Un arrêté ministériel, en date du 29 février, consacrait ainsi qu’il suit ce singulier progrès : « Le citoyen ministre de l’intérieur charge le directeur du musée national du Louvre d’ouvrir l’exposition de 1848 sous le délai de quinze jours. Tous les ouvrages envoyés cette année seront reçus sans exception. » C’était bientôt dit ; mais le moyen d’installer 5,130 ouvrages dans des locaux qui jusqu’alors n’en avaient contenu qu’un nombre inférieur de plus de moitié, sinon des deux tiers ? Et, de plus, pour rester fidèle jusqu’au bout à la doctrine de l’égalité absolue des droits entre les artistes, fallait-il placer indistinctement les œuvres « envoyées, » quels qu’en fussent les mérites relatifs ou les défauts manifestes ? On n’osa pas pousser l’impartialité aussi loin. Seulement, afin de dégager de ce côté encore la responsabilité qu’elle avait déclinée là où il s’était agi de prendre à son compte la tâche qui incombait d’ordinaire à l’Académie, la nouvelle administration appela « tous les artistes » à se réunir « pour nommer une commission de quarante membres chargés du placement des ouvrages à exposer. »

C’était la première application aux affaires de l’art du principe proclamé en matière politique par le gouvernement de l’Hôtel de Ville. On eût pu croire que cet essai du suffrage universel aurait pour résultat de déposséder en faveur de nouveaux-venus les hommes jusqu’alors en fonction ou, tout au moins, d’associer à leurs noms ceux de quelques opposans de la veille, de quelques révolutionnaires en disponibilité : il arriva pourtant tout le contraire. Non-seulement Ingres, Paul Delaroche, Horace Vernet, Pradier, David d’Angers, — d’autres membres de l’Académie encore, — furent