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plupart sont indépendantes à la fois de la volonté du patron et de celle de ses ouvriers, de la situation des industries qui vous fournissent et de celles que vous fournissez, d’une hausse ou d’une baisse de la matière première, d’une concurrence qui surgit ou disparaît, de cent mille raisons qui dominent l’industrie et le commerce tout entiers, qui font leurs angoisses, leurs triomphes et leurs revers imprévus. Aussi devra-t-on sourire, quand on entendra l’évêque auxiliaire de Cologne expliquer que « le problème social, c’est le rapport entre patron et ouvriers réglé selon la morale chrétienne, selon les préceptes de justice et de charité. » Ce sont là des conseils qui ont leur place dans une homélie, ce ne peuvent être les articles précis d’un code.


IV

Les socialistes-collectivistes demandent à l’État à peu près la même chose que les socialistes-chrétiens, produisent les mêmes argumens, étalent les mêmes sophismes, et finalement font preuve de la même ignorance, ou, si l’on veut, de la même naïveté. Le compagnon Deleuze, au congrès ouvrier de Calais, croit, comme le prélat Bernaert, au congrès d’Angers, que l’État peut et doit prévenir la surproduction. Le fond est le même ; ici une phraséologie révolutionnaire, au lieu d’une phraséologie dévote, sert de sauce. A Liège, on souhaite le rétablissement du pouvoir temporel, et à Calais l’anéantissement du bourgeois. Ici et là on a l’air de croire que le paupérisme augmente, tandis qu’au contraire il diminue, et que tout va de mal en pis, tandis qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que des progrès immenses ont été réalisés depuis cinquante ans en Europe. On a donné lecture, cet automne, à Calais, de la réponse d’un certain nombre, — on n’en a pas dit le chiffre, — de syndicats professionnels, à un questionnaire qu’on leur avait adressé sur les divers points que le congrès national devait discuter.

Voici quelques échantillons des réponses : « Quelles sont les causes qui ont rendu mauvaise la situation de votre corporation ? — Le machinisme. » ( ! ) « La durée de la journée a-t-elle diminué dans votre corporation ? — La durée du travail a augmenté, mais le taux des salaires est resté le même. » Il y a des exceptions à toutes les règles, mais le congrès n’aurait peut-être pas mal fait de donner au public la liste des corporations auxquelles le machinisme a fait du tort, et surtout de celles où le salaire est resté stationnaire, tandis que la journée augmentait. Comme c’est précisément, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, le contraire qui est vrai,