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prolétaires, — ils discuteront, tout en s’entendant, jusqu’à la consommation des siècles. Entre cet arbre et cette écorce, plus on mettra le doigt, plus on fera tort à l’un et à l’autre. Tous ceux qui ont, comme on dit vulgairement, « mis la main à la pâte, » tous ceux qui font métier de vendre ou de fabriquer n’importe quoi, sont de cet avis ; et l’étude que nous faisons de la question a pour objet d’en persuader les autres.


III

En théorie, le socialisme est la chose du monde la plus respectable, quand son but est de mettre en mouvement les forces de l’État pour améliorer la condition des petits, des gens qui gagnent leur pain au jour le jour, à qui la vie, depuis le berceau jusqu’au cercueil, est pénible toujours, et parfois cruelle. Tous ces travailleurs pour lesquels s’ajoutent, aux tristesses morales et aux infirmités physiques du commun des hommes, les misères matérielles que les riches et les aisés ne connaissent pas, forment d’ailleurs l’immense majorité de la nation ; et, dans un pays démocratique, ce ne serait pas la peine que la majorité gouvernât, si elle ne prenait soin tout d’abord des intérêts de ceux qui sont les plus nombreux, et par conséquent les plus intéressans. Il n’en est pas de ce socialisme-ouvrier comme du socialisme-propriétaire, qui veut employer la puissance coercitive de l’Etat au profit d’un groupe de citoyens, — détenteurs du sol, — et hausser le prix de la vie à tout le monde pour conserver intact le revenu de quelques-uns. Au contraire, s’il était possible à l’autorité publique d’adoucir, par décret, le sort des classes laborieuses, soit en diminuant les heures de travail sans diminuer les salaires, soit en augmentant les salaires sans augmenter la durée de la journée, soit en abaissant le coût de la nourriture, du loyer, du vêtement, sans abaisser le taux des gages, je crois fermement que le ministre qui ne proposerait pas des lois dans ce sens, et le député qui ne les voterait pas, seraient de très mauvais citoyens, et, s’ils se disent chrétiens, de fort mauvais chrétiens.

Seulement, en pratique, l’État est radicalement impuissant sur ce terrain des relations privées, et il n’importe guère qu’il doive intervenir, s’il ne le peut ; il n’importe guère que son devoir soit très étendu si son pouvoir est tout à fait borné, tout à fait nul, et si surtout les tentatives qu’il croirait devoir faire en faveur des travailleurs ne devaient avoir d’autre effet que de leur nuire, de paralyser ce mouvement naturel qui porte la société moderne, par l’avilissement du taux de l’intérêt, par la baisse du prix des terres,