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valeurs sont soumises, dans le commerce, à des variations nécessaires, il faudrait que tous les contrats libres lussent soumis à une révision périodique chaque trois ou cinq ans, afin qu’on pût garder l’accord réciproque sur le contrat. Cette condition doit être insérée dans le contrat même… »

Dans une autre lettre, après avoir répudié « l’homme économique imaginé par les économistes, » le même prélat énumère les « conditions nécessaires pour le bonheur et le bien-être de ceux qui vivent du travail : la première est la foi en Dieu et l’obéissance à ses lois ; la seconde est une entente cordiale entre les employeurs et les employés. »

On le voit, la solution des « socialistes chrétiens, » — le texte que l’on vient de lire est encore le résumé le plus intelligible des revendications du parti, — consistant à dire aux ouvriers et aux patrons : « Entendez-vous, soyez raisonnables, et tout ira bien ! » ressemble un peu à celle de ce personnage de comédie qui terminait une harangue par ces mots : « Soyez heureux enfin, voilà le vrai bonheur ! » Mais cette « proportion entre les profits et les salaires, » qui la trouvera ? Cette « mesure juste et convenable, d’après laquelle seraient régis tous les contrats, » qui la fixera ? Ce n’est ni avec des dogmes, ni avec des lois, ni du haut d’une chaire, ni du haut d’une tribune, ni dans un cabinet de ministre, ni dans une commission parlementaire, fût-elle composée de trente-trois génies, et qu’ils fussent tous présens aux séances, ce qui est rare, que de pareilles proportions et de pareilles mesures pourront être fixées. L’ancien régime, dont nous sortons, s’est épuisé pendant des siècles à semblables besognes, sans y réussir jamais. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire l’histoire ; les commerces les plus primitifs, les industries les plus rudimentaires, la fabrication du pain par exemple, trouvaient moyen de lui échapper, par des combinaisons et des stratagèmes qui variaient avec une abondance égale à celle des règlemens où l’on voulait les emprisonner. L’erreur des socialistes chrétiens, comme des socialistes radicaux, consiste à présenter toujours le capital et le travail comme deux adversaires dont l’hostilité serait récente, et qu’ils auraient, eux socialistes, mission de pacifier ; tandis qu’en fait le capital et le travail ont été et seront éternellement unis et éternellement divisés : unis, comme le sont des gens qui ont des intérêts communs, et qui par suite sont forcés de s’entendre ; divisés, comme des gens qui ont des intérêts différens, et qui par suite sont forcés de les discuter. Ils se sont entendus, tout en discutant, depuis la création du monde, — aux temps bibliques, il y avait, comme aujourd’hui, des patrons qui cherchaient à exploiter les