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du sol, dont le revenu n’a pas été atteint, puisqu’il reste encore, même depuis la baisse des dix dernières années, le double de ce qu’il était il y a cent ans, fait retentir les gazettes de ses gémissemens et s’écrie qu’on la veut réduire à l’aumône. La troisième, celle des travailleurs, qui ont joui, tout compensé, d’une augmentation de recettes de 50 pour 100, se plaint plus virulemment encore, déclarant que les choses ne peuvent aller ainsi plus longtemps. On remarque ici le même phénomène que pour les grèves, dans lesquelles les corps d’état les moins favorisés, sous le rapport du salaire, ne figurent presque jamais, tandis que ce sont précisément les ouvriers les mieux partagés qui protestent le plus fort. Or des grèves, il n’y a rien à dire ; ç’a été et ce demeurera le moyen honorable et légitime dont les ouvriers peuvent se servir, pour réduire la part, abusive à leurs yeux, que le capital est tenté de s’attribuer dans les profits. Il appartient aux syndicats qui les organisent de n’y recourir qu’avec discernement et en bonne connaissance de cause, pour éviter les échecs et les pertes sèches, par lesquelles elles se soldent trop souvent en dernière analyse. Mais c’est de bien autre chose qu’il s’agit aujourd’hui, quand on sollicite l’État de faire intervenir ses gendarmes, non plus pour maintenir la liberté du travail, comme il était jusqu’ici d’usage, mais pour la violer.

Les mêmes gens, d’ailleurs, qui s’animent si fort en vue de procurer la hausse des salaires par des moyens coercitifs, sont peut-être non moins déterminés à procurer la hausse des subsistances par des moyens également coercitifs, je veux parler des tarifs douaniers. Un des objets principaux de cette étude est de mettre en lumière la suprême inconséquence, la prodigieuse contradiction existant entre ces deux velléités, qui se sont emparées à la fois du monde politique, non-seulement à droite, mais à gauche, non-seulement en France, mais dans plusieurs pays étrangers : la journée de huit heures et le protectionnisme. Augmenter les salaires, et par suite augmenter les dépenses des propriétaires, voilà l’effet de la journée de huit heures ; mais augmenter le revenu des propriétaires fonciers, en décrétant la hausse des produits de la terre, et par suite augmenter les dépenses des ouvriers, voilà l’effet du protectionnisme. Ceci revient à donner d’une main et à reprendre de l’autre.

De bonne foi, il serait au moins convenable de choisir ; de ne pas demander simultanément le dégrèvement de tous les impôts et le développement de tous les services, la liberté illimitée de la parole et la défense à qui que ce soit de débiter des sottises.

L’idéal des hommes actifs qui pensent en ce moment « qu’il y a quelque chose à faire, » sans bien savoir au juste quoi, ne paraît