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a diminué à peu près de moitié depuis 1790 jusqu’à nos jours, ou, si l’on veut, que la vie a doublé de prix depuis un siècle. Par conséquent, 1,000 francs de 1790 en représentent 2,000 de 1890 ; et le propriétaire de biens-meubles, tels qu’une rente hypothécaire ou autre, le propriétaire d’une somme de 20,000 francs, qui en tirait, il y a cent ans, un revenu de 1,000 francs, à 5 pour 100, a vu son avoir diminuer de moitié, puisqu’il ne peut plus satisfaire, avec ses 1,000 francs de rente, que la moitié des besoins qu’il satisfaisait en 1790 avec la même somme. Le rentier a été, par la force des choses, par le mouvement naturel des prix, spolié de la moitié de son avoir.

Le propriétaire foncier, au contraire, qui avait il y a cent ans 1,000 francs de revenu, n’a pas souffert du renchérissement de la vie ; il ne s’en est même pas aperçu, parce que la terre française, dans son ensemble, ayant doublé de prix depuis lors, en même temps et dans la même proportion que l’ensemble des marchandises, ses 1,000 francs de fermage de 1790 s’élèvent aujourd’hui à 2,000, avec lesquels il vit, non pas sur un pied supérieur, mais sur un pied égal à celui où son aïeul vivait, avec 1,000 francs, au jour de la Révolution. Reste la catégorie des travailleurs : celle-là est de beaucoup la plus nombreuse et la mieux partagée. Sous ce régime si attaqué de la liberté, et avec l’aide des innombrables machines permettant de résoudre ce problème, qui jusque-là avait pu passer pour la quadrature du cercle des questions sociales : augmenter le prix de la main-d’œuvre et diminuer le prix de l’objet fabriqué, les salaires se sont élevés en moyenne au triple de ce qu’ils étaient à la fin du règne de Louis XVI ; et comme les dépenses n’ont augmenté que du double, que le blé même n’aurait pas augmenté du tout, si son prix n’était pas artificiellement surhaussé par les droits de douane, l’ouvrier de 1891 est moitié plus riche en définitive que l’ouvrier de 1790. Intrinsèquement, ses dépenses ne faisaient que doubler pendant que ses recettes triplaient. Voilà le bilan économique du siècle ; nous n’avons pas, j’imagine, à en rougir. Et ce résultat mériterait d’être admiré bien davantage encore, si l’on connaissait l’histoire des salaires aux siècles passés, et si l’on mettait en regard des améliorations réalisées depuis cent ans dans le bien-être des classes laborieuses, l’état stationnaire, voire rétrograde, des temps qui ont précédé le nôtre, où les progrès généraux de la civilisation ne profitaient en rien à la classe des travailleurs manuels.

Que voyons-nous cependant ? De ces trois catégories de personnes, l’une, celle des rentiers, réduite de 50 pour 100 dans sa situation pécuniaire, accepte sans murmurer sa déchéance, et personne n’élève la voix en sa faveur ; l’autre, celle des détenteurs