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de mon ami Abraham, toi que j’ai saisi au bout de la terre, que j’ai appelé du jour où tu étais encore en lisière, ne crains rien, car je suis avec toi, je suis ton Dieu. Ceux qui t’en veulent seront confondus. « Ne crains rien, vermisseau de Jacob, pauvre petit peuple d’Israël ! »

Car les souffrances d’Israël, transfigurées par le prophétisme triomphant, ne sont plus, comme jadis, l’expiation de ses fautes, la punition infamante de ses péchés : c’est le prix du salut de l’âme humaine. Jéhovah avait mis son esprit en lui pour faire par lui part aux nations de la justice. Ce n’est donc pas en vain qu’il a souffert, méprisé, abandonné des hommes, peuple de douleur, familier de la souffrance. Envoyé par le Seigneur pour prêcher sa parole, il n’a point été rebelle et n’a point reculé. Il a présenté son dos à ceux qui le frappaient, sa joue à ceux qui l’insultaient : il n’a point détourné la face devant l’outrage et le crachat. Pareil à l’agneau qu’on mène à la boucherie, à la brebis muette devant le tondeur, il n’a pas ouvert la bouche ; et c’est pour cela qu’il ne mourra pas. Les hommes l’ont cru frappé de Dieu, tandis que c’est pour les ramener de leurs péchés qu’il était frappé, pour leur salut qu’il était châtié. Et il ne se lasse ni ne se décourage, que la justice ne soit établie sur la terre, et les îles lointaines attendent son instruction. Jéhovah le fait législateur des peuples : des nations qui ne le connaissent pas accourront auprès de lui. Il conduira les étrangers qui s’attachent au nom de Jéhovah vers sa maison de la montagne sainte : car la maison de Jéhovah sera appelée une maison de prière pour tous les peuples.

Et le poète voit naître une terre nouvelle où tout le passé sera oublié, où l’on n’entendra plus de cris de détresse et où l’on ne péchera plus ; où les mères n’enfanteront plus pour une mort subite, où il ne mourra plus de vieillards qui n’aient achevé leur carrière, où le plus jeune mourra à cent ans, et ce n’est plus qu’à cent ans que le pécheur sera maudit.


VIII

Soulevée par ces espérances grandioses qui se crurent réalisées six siècles plus tard, sous des formes et des symboles inattendus, jaillis des métaphores du prophète, une partie des exilés reprit le bâton de pèlerinage, détacha la lyre suspendue aux saules des fleuves de Babylone, traversa le désert et remonta en chantant vers la montagne de Sion.

« Quand l’Eternel ramena les captifs de Sion, nous étions comme dans un rêve.