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volonté, pour substituer l’autorité toujours présente de l’écrit qui reste aux influences fugitives de la parole qui vole. La prédication peut créer une agitation religieuse ; pour faire aboutir cette agitation, il faut un livre. Ce qui faisait du Livre de la loi une chose toute nouvelle, et toute-puissante sur beaucoup même qui avaient les oreilles ressassées de la loi, c’est que pour la première fois elle se présentait là dans son ensemble, comme un tout systématique et cohérent. Ce code, dit M. Renan, « était un des essais les plus hardis que l’on ait tentés pour garantir le faible, » et plus puissant que la parole intermittente et dispersée des prophètes, il tombait sur les consciences de bonne volonté, de toute sa force ramassée.

Nous ne savons pas jusqu’à quel point la loi nouvelle fut appliquée et devint la règle de l’état. Le Livre des rois est l’œuvre de la caste sacerdotale, qui ne nous renseigne que sur l’épuration du culte qui l’intéressait plus que le reste, et qui était d’ailleurs la chose facile. Les prescriptions rituelles furent appliquées avec rigueur, les cultes étrangers furent proscrits, les prêtres idolâtres furent expulsés, ceux qui avaient sacrifié dans le temple même de Jéhovah furent mis à mort, la vallée de la Géhenne où se faisaient les offrandes humaines à Moloch fut souillée. Mais il est plus facile de réformer le culte que l’âme, et dans le triomphe matériel du jéhovisme continua la vieille protestation prophétique : « Quand je vous ai donné mes ordres, au sortir d’Égypte, était-ce pour des holocaustes et des sacrifices ? »

Josias n’avait que vingt-six ans à la promulgation du néo-jéhovisme. Un long règne, comme celui de Manassé, en aurait peut-être fait une réalité dans la loi et les mœurs comme dans le culte. Malheureusement, Josias allait être saisi dans l’engrenage de la politique étrangère et y périr. L’Asie venait d’être bouleversée par une révolution formidable : l’Assyrie venait de succomber sous la coalition des peuples qu’elle avait si longtemps foulés aux pieds et était descendue dans le Scheol rejoindre ses victimes, saluée par l’acclamation des prophètes : « Elle est ruinée, Ninive : qui la plaindra ? Où lui chercher des consolateurs ? Tes bergers sont endormis, ô roi d’Assur ; tes capitaines sont au repos. Et tous ceux qui l’entendront battront des mains : car sur qui n’a point passé ton éternelle férocité ? » C’était Babylone et la Chaldée qui avaient dirigé l’assaut contre Ninive. Mais la vieille Égypte, qui venait de se rajeunir un instant sous la dynastie de Psammétichus, essaya de saisir l’empire du monde, que Ninive laissait tomber de ses mains, avant que la Chaldée l’eût affermi dans les siennes. Le roi d’Égypte, Néchao, marcha sur l’Euphrate. Josias, vassal de Babylone, crut de son devoir d’aller barrer le chemin à l’adversaire de