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il reste un tronc en terre quand on les coupe, leur tronc deviendra une race sainte. »

Et cependant, sous le coup même de ses déceptions, l’âme et le rêve du prophète s’élargissait. Amos et Osée ne rêvent de salut moral que pour Israël et le peuple élu : le reste du monde leur est inconnu ou n’est que l’instrument inconscient de la réforme et du salut d’Israël. Ce que voit Isaïe, c’est Israël sauvé et sauvant le monde. Au milieu des peuples livrés aux jeux féroces de la force, il rêve pour Israël l’ascendant de l’exemple et de l’idéal. Il voit venir un jour, à la fin des jours, où la montagne qui porte la maison de Jéhovah se dressera au-dessus de toutes les montagnes ; toutes les nations y afflueront et les peuples en foule y viendront en disant : « Allons, montons à la montagne de Jéhovah, à la maison du Dieu d’Israël, pour qu’il nous instruise dans ses voies et que nous marchions dans ses sentiers. Car c’est de Sion que viendra l’enseignement, et de Jérusalem la parole de l’Éternel. » Le mot décisif est lancé : une religion universelle est fondée.

La chute de Samarie, l’an 721, produisit un ébranlement profond dans les consciences : les prophètes durent pousser un cri mêlé de triomphe et de douleur. La récrimination de la sagacité sèche et peu généreuse : « Ne l’avions-nous pas dit ? » prenait devant l’immensité de l’enjeu, — le salut de la nation et le salut des âmes, — un sens surnaturel. Dieu ne l’avait-il pas dit ? Juda, à moitié réjoui, à moitié terrifié de la chute de son frère ennemi, vit dans la flamme qui consumait Samarie éclater avec une lueur sinistre la vérité des doctrines prophétiques. Pourquoi Juda échapperait-il au sort de son frère s’il restait sourd comme lui à la voix divine, avec un pire aveuglement puisqu’il avait sous les yeux l’exemple des menaces réalisées ? Et les grands et le peuple cessaient un instant leurs railleries quand les prophètes, reprenant sur eux les charges contre Israël, dénonçaient l’inévitable châtiment suspendu sur l’orgueil et l’égoïsme des riches, sur la dureté et l’impureté des mœurs, sur la folie d’une politique qui se traînait dans l’ornière banale de la duplicité et de la violence internationale.

Au moment de la chute de Samarie, le trône de Juda se trouva, par un hasard favorable, occupé par un jeune homme de vingt-huit ans, Ézéchias, bien doué, lettré, ouvert aux idées nouvelles, quoique assez indépendant pour avoir une politique à lui et conserver son indépendance en face même d’Isaïe. Il mit son enthousiasme et son pouvoir au service du prophète : il fut le Constantin, ou plus exactement l’Asoka du jéhovisme idéaliste. La réforme se marqua d’abord dans le culte, ce qui prouve que la caste sacerdotale, jusque-là indifférente ou hostile et qui n’avait point d’antipathie particulière pour l’idolâtrie, entrait dans le mouvement