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rappeler à Israël les vérités oubliées, sont en réalité les créateurs de ces vérités, et le prophétisme, au lieu d’être la fleur du judaïsme, en est la racine même.

Le prophétisme n’est pas un phénomène particulier à Israël : tous les peuples anciens ont eu des prophètes, c’est-à-dire des hommes qui ont parlé au nom de Dieu ou des puissances surnaturelles. Le prophète est autre chose que le prêtre, personnage sans grande originalité, ministre d’un rituel établi dont la puissance agit d’elle-même, sans que la personne du prêtre y soit pour rien. Le prophète est l’homme possédé de Dieu et par qui la volonté de Dieu se révèle aux hommes. Mais chez les autres peuples, et en Israël même, dans les périodes anciennes, le prophète, — voyant, divin, sorcier, hypnotiseur, — oscille entre le charlatan, le fol et l’inspiré. Ce qui fait une chose unique du prophétisme juif, c’est qu’il a été l’arme toute-puissante, non de charlatans et de fous, mais d’inspirés en qui la raison et la conscience de l’humanité moderne ont trouvé leur première expression victorieuse et durable. L’œuvre de ces prophètes nous est restée dans une centaine de pages de la Bible et dans trois religions.

L’instrument matériel de la victoire du prophétisme a été Jéhovah, le Dieu national des Juifs. Il est possible que le mouvement prophétique ait commencé avant la constitution définitive de Jéhovah, mais c’est par lui qu’il a vaincu, et, pour comprendre l’évolution du prophétisme, il importe de suivre d’abord la formation du Dieu. Nous devons l’esquisser rapidement, d’abord d’après la Bible, puis d’après l’histoire.

D’après la Bible, Jéhovah, après s’être révélé aux patriarches, a choisi définitivement pour son peuple la descendance de Jacob : c’est à ce peuple qu’il fera connaître sa loi et par lui qu’il la fera connaître au monde. Il le délivre d’Egypte par.la main de Moïse, et sur le Sinaï lui révèle et lui propose sa loi. Israël accepte cette loi, entre en alliance avec Jéhovah, devient son peuple. S’il observe le pacte d’alliance et suit la loi de Jéhovah, Jéhovah le protège et le fait prospérer ; s’il y manque, le livre à ses ennemis.

Israël conquiert la terre que Jéhovah a promise à ses ancêtres. Mais il oublie son serment, se livre aux idolâtries de Chanaan, et Jéhovah l’abandonne à ses oppresseurs. Son cri de détresse et de repentir monte vers Jéhovah, qui envoie des juges pour le sauver. La royauté s’établit sous les auspices de Jéhovah, mais elle ne reste qu’avec David dans les voies du Seigneur. L’unité nationale se brise sous le second successeur du roi-psalmiste. Le royaume de Juda, qui reste fidèle jusqu’au bout à la race de David, et le royaume d’Israël, que déchirent les révolutions militaires, sont l’un