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sympathique, dans un esprit d’intelligence et d’amour. Ce qui a fait l’impuissance scientifique de Voltaire et de tous les Français qu’il a formés, c’est qu’ils n’ont pas eu le bonheur d’avoir dans leur enfance de ces heures de foi naïve, de ces souvenirs qui, dans le progrès de la vie et le tumulte de la raison raisonnante, se raniment pour éclairer d’une lumière surnaturelle les voies obscures de l’âme ancienne, où la science, à tâtons, chemine en étrangère. Malheur au savant qui aborde les choses de Dieu sans avoir au fond de sa conscience, dans l’arrière-couche indestructible de son être, là où dort l’âme des ancêtres, un sanctuaire inconnu d’où s’élève par instans un parfum d’encens, une ligne de psaume, un cri douloureux ou triomphal qu’enfant il a jeté vers le ciel, à la suite de ses pères, et qui le remet en communion soudaine avec les prophètes d’autrefois !


I

Un des maîtres de la philosophie moderne nous disait naguère que les admirables traductions dont M. Renan a semé son livre lui avaient donné pour la première fois l’impression du génie biblique. On peut dire de même de tout l’ouvrage que c’est le premier qui fasse saisir le développement du génie d’Israël. Je n’ai point l’intention ici de résumer le livre de M. Renan : on ne résume pas Hérodote. Je voudrais seulement, si je puis mettre en lumière l’originalité maîtresse de l’œuvre, la pensée qui la traverse d’un bout à l’autre et qui en fait la nouveauté et la puissance d’attraction. La nouveauté, c’est d’avoir fait du prophétisme le centre d’intérêt de l’histoire d’Israël. La puissance d’attraction, c’est la parenté inattendue qui éclate entre le cœur des prophètes et le cœur du XXe siècle. Si cette œuvre, toute de science et qui ne recule point, à l’occasion, devant les discussions de l’exégèse la plus aride, a fasciné et frappé jusqu’à des critiques de boulevard et leur a vaguement fait sentir un instant qu’il y avait là des choses vitales et qui touchent au salut, cela ne tient ni à l’intérêt historique du sujet, ni même au génie de l’écrivain : cela tient au coup de baguette divinatoire par lequel l’historien magicien a fait du vieux texte lapidaire jaillir à flots toute l’âme moderne.

Le grand changement de perspective que la critique nouvelle introduit dans l’Histoire sainte, c’est qu’elle met au centre de cette histoire, non plus Moïse sur le Sinaï, mais le chœur des prophètes, c’est-à-dire des hommes qui ont parlé à Israël durant les deux derniers siècles de la royauté juive et durant la captivité de Babylone, soit de l’an 800 à l’an 536 avant le Christ. Les prophètes, qui, selon la conception traditionnelle, viennent, aux heures de défaillance,