Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 104.djvu/482

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


LE MOUVEMENT FINANCIER DE LA QUINZAINE

L’événement de la première quinzaine de mars est la chute de la Société de dépôts et de comptes courans. Il y a bien longtemps déjà que des bruits fâcheux couraient sur la situation de cette banque de dépôts. On la savait engagée dans de détestables affaires. Des procès étaient intervenus, impliquant la responsabilité des administrateurs de la Société ; ils ont été successivement perdus.

Il y a quelques semaines, à la suite d’un jugement condamnant la Société à payer un certain nombre de millions à la faillite du Crédit viager, on avait parlé de l’imminence d’un appel de fonds sur les titres ; mais ce bruit avait été officieusement démenti. Le 11 courant, cependant, on apprit tout à coup que la Société de dépôts, incapable de trouver dans ses propres ressources les moyens de faire face aux demandes, qui commençaient à être pressantes, de remboursement des dépôts, était obligée de faire appel au concours d’autrui.

On a vu alors se reproduire exactement les mêmes phases que lors de la déconfiture du Comptoir d’escompte, il y a deux ans, à Paris, et de la maison Baring, il y a quatre mois, à Londres : affluence de déposans au siège de la Société menacée ; convocation d’urgence, au ministère des finances, des représentans des grands établissemens de crédit ; invitation à la Banque de France d’avancer la totalité des fonds nécessaires, moyennant la remise de l’actif de la Société à sauver, et constitution d’un syndicat pour la garantie partielle de cette avance.

Dans la conjoncture actuelle, la Banque de France avance 60 millions, le syndicat garantit le recouvrement de cette somme jusqu’à concurrence de 15 millions. Il s’agit maintenant de savoir ce que vaut le portefeuille de la Société de dépôts, porté au dernier bilan (31 janvier 1891) pour 82 millions environ. Il est à craindre que la réalisation des effets et valeurs que représente cette somme ne laisse de graves mécomptes ; il resterait alors, pour couvrir l’avance de la Banque, les comptes courans créditeurs, d’une valeur bien aléatoire ; l’immeuble, évalué 7 millions, enfin les 60 millions au versement desquels peuvent être obligés les malheureux actionnaires, actuels ou anciens, à raison de 375 francs par action.

De quelque façon que se termine cette liquidation, le désastre matériel est grand, le désastre moral plus considérable encore. C’est la seconde de nos plus anciennes institutions de crédit qui succombe ainsi, en l’espace de deux années, au milieu d’une grande prospérité