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entendu comme synonyme d’état guerrier, la condition actuelle d’officier ne serait qu’une anomalie et justifierait pleinement l’état d’esprit de toute cette jeunesse qui maudit aujourd’hui l’inaction forcée, la paix prolongée, l’arrêt complet de l’avancement, et n’a pas assez d’anathèmes contre la vie de garnison, sa monotonie, sa routine, sa stérilité. Envisager au contraire le rôle de l’officier sous cet aspect nouveau d’agent social, appelé par la confiance de la patrie moins encore à préparer pour la lutte les bras de tous ses enfans qu’à discipliner leurs esprits, à former leurs âmes, à tremper leurs cœurs, n’est-ce pas, loin de l’amoindrir, l’élever dans les plus vastes proportions, le faire presque plus grand dans la paix que dans la guerre, et proposer à son activité l’objet le plus digne de l’enflammer ?


III.


L’opportunité et le caractère de cette action sociale admis, comment en faire pénétrer l’idée dans le corps d’officiers ?

Par la base, croyons-nous, plutôt que par le sommet : par une action d’ensemble sur les officiers et soldats à venir, dans les écoles militaires, et dans l’éducation, plutôt que par prosélytisme auprès des officiers actuels.

Ce n’est pas à dire que, parmi eux et dans tous les grades, il n’y ait pas des individualités gagnées à cette idée : nous en connaissons et beaucoup. Mais elles ne sont pas, tant s’en faut, la majorité et restent d’ailleurs retenues par des habitudes, des timidités, mille liens qui les empêchent de frayer une voie nouvelle. Du reste, les hommes qui font partie d’une organisation ancienne, dont la transformation s’est accomplie pendant le cours de leur carrière, sont mal placés pour juger de la nature et de la portée de cette transformation. Parce qu’ils ont gardé le même habit, le même idiome, la même routine, il leur semble que rien n’ait changé : ils sont disposés à traiter de décadence ce qui est évolution, à comparer des choses qui ne sont pas comparables et à se placer, pour juger d’un présent qui contient des germes inconnus, au point de vue d’un passé irrémédiablement mort. — Prendre son parti de l’abandon du « vieux bateau » sur lequel on a fait sa première traversée et dont on porte encore l’enseigne, pour se mettre énergiquement, avec les jeunes, à la construction du bâtiment, aux engins inconnus de votre jeunesse, qui portera les générations nouvelles, qu’y a-t-il de plus rare et de plus difficile ?

Nous autres, anciens, nous sommes mal disposés à juger la nouvelle armée avec équité. L’ancienne, avec ses vieux cadres, sa longue durée de service, marchait pour ainsi dire toute seule :