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arts, de modèles supérieurs à ceux de la culture antique, de celle des Grecs principalement. Tant que l’on proposera comme but essentiel à l’enseignement secondaire de former des esprits cultivés, il n’y a donc pas lieu d’espérer des résultats équivalons par la simple substitution de l’enseignement du français, ou des langues vivantes, à celui des langues anciennes.

Cependant un enseignement purement littéraire, même en lui conservant sa forme et sa destination, ne répond plus suffisamment aux besoins des sociétés modernes. Tout le monde, jusqu’aux partisans les plus enthousiastes des études littéraires, réclame qu’il y soit adjoint un certain enseignement scientifique subordonné, comprenant au moins les élémens des sciences auxquelles aucun homme cultivé de notre époque n’a le droit de demeurer étranger, quel que soit le rôle qu’il se propose de jouer dans notre société.

Nous devons aller plus loin ; car il est certain que la formule de l’enseignement littéraire classique, même ainsi comprise, ne répond plus à l’ensemble des carrières et des besoins fondamentaux de l’époque moderne. Un très grand nombre de citoyens réclament une autre discipline, fondée sur une connaissance plus approfondie des sciences, devenues indispensables pour la vie pratique aussi bien que pour la direction générale des sociétés. Les sociétés humaines ne vivent plus uniquement d’art et de littérature, comme autrefois; aujourd’hui elles vivent surtout de science et d’industrie. De là la nécessité d’un enseignement scientifique, non moins nécessaire que l’enseignement littéraire et qui doit être donné parallèlement. Ceci étant admis, je pense qu’il doit l’être par d’autres méthodes, et peut-être par une organisation différente, que l’on n’a point d’ailleurs cherché à réaliser jusqu’à ce jour. En tout cas, cet enseignement scientifique ne saurait, pas plus que l’enseignement littéraire proprement dit, être exclusif : il convient de le compléter, lui aussi, par un enseignement littéraire subordonné, auquel nul homme cultivé ne saurait non plus demeurer étranger. Mais pour réaliser cet ordre spécial d’enseignement littéraire, les langues anciennes ne sont plus indispensables, parce qu’il ne forme plus l’objet fondamental du nouvel organisme.

Deux enseignemens parallèles et doués des mêmes prérogatives, l’un fondé essentiellement sur les lettres anciennes, mais avec une certaine culture scientifique ; l’autre fondé essentiellement sur les sciences, mais avec une certaine culture littéraire moderne, telle me paraît la formule la plus désirable de notre temps et celle à laquelle on sera ramené par la force des choses.


M. BERTHELOT.