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courtes sont les meilleures. L’essentiel, en définitive, est que tout s’est passé sans accident, — on pouvait se fier à la délicatesse de l’hospitalité française. Tout a bien fini, et s’il n’y a eu sûrement aucun secret politique dans ce passage d’une princesse étrangère à Paris, si les rapports de l’Allemagne et de la France ne paraissent pas destinés à s’en trouver mieux, on ne peut pas dire que le voyage tel quel de l’impératrice Victoria ait été une tentative sans intérêt. Rapprochée de quelques autres faits, comme la lettre de sympathique condoléance récemment écrite par Guillaume II à l’occasion de la mort de M. Meissonier, ce voyage peut passer, lui aussi, pour un des signes du temps. C’est déjà une nouveauté qu’il ait semblé possible ; mais de tous ces spectacles qui révèlent le changement des choses, le plus curieux n’est peut-être pas encore ce qui se passe à Paris ou à Saint-Pétersbourg à propos de quelques voyages princiers, c’est ce qui se passe à Berlin même, c’est cette sorte de duel engagé entre un jeune souverain à la volonté impérieuse, à l’esprit impatient d’avenir, et le vieux solitaire morose et grondeur de Friedrichsruhe, le vieux ministre vaincu qui semble ne plus représenter que le passé.

Tout, en vérité, est saisissant dans ce singulier épisode où éclatent tous. les contrastes de caractères, toutes les inconstances de la fortune. Il est bien clair que M. de Bismarck, depuis qu’il a été frappé dans sa puissance, n’a pu réussir à se consoler ou à se résigner. Il ne cesse de s’agiter dans sa solitude, gardant l’illusion de son ascendant, le ressentiment de la blessure faite à son orgueil, cherchant toutes les occasions de ressaisir une action, de faire sentir sa griffe. S’il ne parle pas directement par lui-même, il garde à son service des journaux qui se font les échos de sa pensée, des saillies acerbes de son génie irrité, de ses jugemens sur toutes choses. Il n’approuve rien, c’est bien évident. Il traite avec dédain le voyage de l’impératrice à Paris. Il voit sa politique périr entre les mains de ses débiles successeurs, l’Allemagne menacée, déjà affaiblie dans sa situation prépondérante au centre de l’Europe, dans son rôle d’arbitre entre l’Autriche et la Russie. Il a des sévérités hautaines ou ironiques pour les mobilités impériales, pour les ambitions réformatrices du jeune souverain. Il reste le censeur implacable de l’empire nouveau! Il est bien clair aussi que Guillaume II ne souffre qu’avec impatience cette fronde de Friedrichsruhe dont il sent l’aiguillon. Déjà, il y a peu de temps, dans un banquet chez son chancelier, M. de Caprivi, il ne cachait pas son irritation et dans ses paroles il laissait entrevoir la menace. Ces jours passés encore, dans un autre banquet de la diète de Brandebourg, il prétendait avec amertume qu’en ce moment on cherchait à exciter les esprits, à lui aliéner son peuple, qu’on se servait « d’un océan d’encre d’imprimerie pour lui barrer la route; » et il parlait en homme résolu à ne pas se laisser arrêter, plein de l’orgueil de son pouvoir. Bref, entre