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les défenseurs des droits des communes, des libertés municipales. Et qu’en font-ils aujourd’hui, de ces libertés, de ces droits, dans la pratique, dans ces lois scolaires dont ils proclament l’inviolabilité? Ils font de l’État, dont ils sont les maîtres, le souverain omnipotent, l’expression vivante d’une sorte d’absolutisme moral. Ils demandent aux communes leur argent en affectant le dédain de leurs conseils. Ils ne leur permettent même pas d’avoir une opinion sur leurs écoles, de témoigner leur intérêt pour des maîtres auxquels les populations restent attachées, — et au besoin ils les répriment par la force, comme ils l’ont fait à Vicq, ou avec le secours du conseil d’État. On vient de le voir tout récemment. Le conseil municipal de Nantes, après avoir suffi à ses dépenses obligatoires, avait quelques ressources dont il a cru pouvoir disposer pour accorder un subside aux écoles libres. Le préfet s’est hâté d’annuler la délibération, et le conseil d’État vient de maintenir l’annulation préfectorale. Soit! si la loi le veut ainsi, applique-t-on du moins la loi avec impartialité? Pas du tout. Le conseil municipal de Paris vote ce qu’il veut, plus d’un million, pour des écoles libres qui ont ses préférences. Oh ! c’est une autre affaire. Entre conseils municipaux et conseils municipaux, il y a une différence. Fort bien encore; et qui sera juge de la différence? M. le ministre de l’intérieur l’avouait naïvement l’autre jour en disant qu’une ville, après avoir suffi à ses dépenses scolaires obligatoires, peut subventionner une école libre, — « quand l’administration l’y autorise! » De sorte qu’après avoir mis l’esprit de secte dans les lois, on ajoute l’arbitraire dans l’exécution. On n’a aucun scrupule de mettre l’arbitraire dans les lois scolaires comme dans les lois fiscales, dès qu’il s’agit de poursuivre la guerre de secte.

Au fond, c’est là toute la question. Si les républicains qui sont au pouvoir croient, en procédant ainsi, servir la république, ils se trompent étrangement. Ils ne voient pas qu’en faisant de la république un régime de combat, ils la remettent sans cesse en doute, ils la livrent à la loterie indéfinie des scrutins, par cela seul qu’ils prolongent les divisions de l’opinion. S’il y a une chose évidente, c’est que depuis deux ans, depuis les élections dernières, le pays n’a pas demandé mieux que de voir finir les luttes irritantes, les contestations de régime, qu’il ne demande rien de mieux encore, et que les républicains, par leur politique, font tout ce qu’ils peuvent pour perpétuer cet état où rien ne s’affermit. Et c’est ainsi que, dans de bien autres conditions, mais toujours sous l’empire des passions du parti, se réalise encore une fois ce mot de « la tranquillité sans la stabilité! » Plus que jamais on aurait pourtant mieux à faire dans l’intérêt de la France, de sa sûreté et de sa grandeur.

Eh! oui, sûrement, ce qui se passe chaque jour, ce que nous voyons devient de plus en plus intéressant et n’est pas pour démentir cette