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C’est une sorte de guerre méthodique organisée dans l’Est comme en Auvergne et en Normandie contre des communautés qui sont la plupart vouées aux missions les plus périlleuses, au soin des malades et des infirmes ou à l’enseignement populaire. Les exécutions sont déjà nombreuses et menacent de se multiplier.

Voilà une communauté dont les membres sont envoyés dans les pays lointains, portant partout le nom et la langue de la France : ils meurent le plus souvent dans leurs missions meurtrières, — et aussitôt survient le fisc, armé de son droit d’accroissement, réclamant sa dîme sur ces victimes de leur dévoûment ou de leur foi ! Voici à Seyssel, dans l’Ain, un hospice de vieillards tenu par les sœurs de Saint-Vincent de Paul : la maison de l’hospice a été léguée, avec quelques biens qui en dépendent, à la communauté, à la condition d’être affectée à cette destination. Les sœurs ne font qu’administrer le bien des pauvres, et ce qui manque, la supérieure l’ajoute, — Tous les maires du canton l’ont reconnu. N’importe, le fisc est arrivé récemment avec sa contrainte, réclamant son droit d’accroissement, qui, en définitive, est prélevé sur les vieillards indigens de Seyssel ! Dans le Cantal, c’est une autre maison de vieillards qui est exécutée. A Bourges, ce sont les Filles de la Charité qui sont saisies. Une des plus tristes scènes de cette triste campagne est certainement ce qui s’est passé dans une autre commune de l’Ain, à Marboz, où les sœurs de Saint-Charles ont une école qui vient à son tour d’être dévalisée par autorité de justice de son petit mobilier au milieu d’une population émue et offensée. On a tout saisi, tout vendu en place publique, des bancs d’école, des tables de travail, quelques petits lits, — et, chose caractéristique, les habitans ont voulu tout racheter pour remettre à la disposition des sœurs ces modestes meubles. Voilà de beaux exploits ! Et c’est ainsi que M. le ministre des finances entend atténuer, comme il le disait, les «effets exorbitans» de sa fiscalité ! c’est ainsi que se réalise de plus en plus le programme de ce ministère, qui, à son avènement, promettait une « république large, tolérante et ouverte ! » Ceux qui se laissent aller à ces entraînemens et qui renouvellent sans cesse ces spectacles blessans ne s’aperçoivent pas qu’ils sont les ennemis les plus compromettans de la république en prouvant qu’ils sont toujours prêts à sacrifier à une obsession de secte et l’équité et l’impartialité des lois et les traditions libérales.

Ce qu’il y a de frappant et de dangereux, en effet, dans cette manière d’entendre les lois et le gouvernement, ce n’est pas même la violence; c’est une dépression croissante des idées libérales, de l’esprit libéral, qui se manifeste en toute occasion. On met une sorte d’ingénuité audacieuse à traiter les traditions libérales de vieilles « guitares, » à désavouer tout ce qu’on a dit, ce qu’on a toujours soutenu. Ces étranges républicains ont certes toujours eu la prétention d’être