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de leurs entraînemens de parti, ni s’arrêter dans une voie où ils voient à chaque instant se relever devant eux les conséquences de leurs propres œuvres. Assurément, s’il y avait une occasion où la modération semblait être une obligation, c’est cette affaire des lois par lesquelles on a essayé d’enlacer les communautés religieuses dans un réseau de ruineuse fiscalité, et qui ont provoqué il y a deux mois, au Palais-Bourbon comme au Luxembourg, des discussions aussi lumineuses que décisives. La démonstration a été alors si pressante, si saisissante, il a été si bien avéré qu’on avait tout confondu, les communautés autorisées et les communautés non reconnues, que le prétendu droit d’accroissement n’était qu’une confiscation déguisée, c’était si clair que M. le ministre des finances s’est senti un moment ébranlé; il s’est cru obligé de déclarer que, si la loi avait effectivement les conséquences « exorbitantes » qu’on disait, il faudrait aviser « soit administrativement, soit législativement. » Qu’en a-t-il été? M. le ministre des finances a, en effet, porté à la chambre une loi, un semblant de loi qui n’est qu’un palliatif peu sérieux, et dont la chambre s’occupera quand elle pourra ou quand elle voudra ; mais, en attendant, l’exécution de ces prétendues lois d’accroissement suit son cours inflexible. Le fisc, à qui M. le ministre des finances a, sans doute, oublié d’envoyer ses instructions, déploie ses rigueurs de toutes parts, sur tous les points de la France. Or il y a ici deux choses : il y a une question de droit et il y a une question d’équité supérieure, de moralité, presque de décence publique.

On a si bien oublié toutes les idées de droit dans ces prétendues lois qui n’ont, après tout, qu’un objet politique, on a si bien confondu toutes les règles juridiques que la justice elle-même ne s’y reconnaît plus. Comment prendre au sérieux ce système des déclarations multiples dans tous les bureaux d’enregistrement où une communauté est censée posséder et cette fiction des héritages fractionnés à l’infini ? Comment admettre une taxe de succession sur des communautés dont les propriétés ont un objet d’utilité publique, dont les membres ne possèdent rien et ne peuvent rien recueillir, qui sont investies par la loi du droit de propriété collective, intransmissible, — sur des communautés légalement organisées de telle sorte que si elles venaient à se dissoudre, ce qu’elles possèdent reviendrait aux donateurs primitifs? La question est si obscure, le droit qu’on prétend exercer est si peu clair que ces jours derniers encore des tribunaux, ceux d’Yvetot et de Reims, par des arrêts savamment motivés, viennent de se prononcer contre le droit du fisc. Ce n’est là encore cependant, si l’on veut, que le côté abstrait, juridique de ces malheureuses affaires. Ce qu’il y a de réellement répugnant, c’est l’application de ces lois dans la réalité, c’est le spectacle de poursuites dirigées aujourd’hui de toutes parts, accompagnées de saisies, de contraintes, de ventes judiciaires en place publique.