de l’Horloge des princes, d’Antonio de Guevara, où La Fontaine devait prendre un jour son Paysan du Danube : elle est datée de 1561. Un autre de ces laborieux traducteurs, comme il en abondait alors, Nicole Colin, faisait passer en notre langue les sept premiers livres de la Diane amoureuse de George de Montemayor, en 1578. Un troisième survenait, du nom de Gabriel Chappuys, « translateur, annaliste, et garde de la librairie du Roy, » l’homme de France qui, peut-être, a le plus traduit : il achevait, de 1576 à 1581, la traduction de l’Amadis, que des Essars n’avait pas eu le loisir de mener jusqu’au bout, puis il continuait celle de la Diane de Montemayor, qui finissait de paraître en 1582. Ces dates sont parlantes et ces titres aussi. Car, la Diane de Montemayor, c’est le chef-d’œuvre du genre qui avait succédé en Espagne à celui des Amadis, le romanesque pastoral « où, par plusieurs plaisantes histoires déguisées sous noms et style de bergers et bergères, sont décrits les variables et étranges effets de l’honnête amour. » Cervantes, au chapitre VI de son Don Quichotte, n’en a condamné que les vers et les enchantemens, mais d’ailleurs il en a loué la prose et l’heureuse invention. Mais, à son tour, la Diane de Montemayor, c’est l’Astrée d’Honoré d’Urfé, dont même le sous-titre explicatif est littéralement traduit de celui de l’auteur espagnol. Comment, d’ailleurs. Honoré d’Urfé a-t-il usé de son original? Qu’en a-t-il ôté, qu’y a-t-il ajouté pour l’accommoder au goût français de son temps ? Les curieux iront y voir, et quand ils n’y trouveraient qu’une occasion de relire l’Astrée, je ne les en plaindrais pas. Nous ne leur demandons ici que de vouloir bien se rappeler l’influence considérable que l’Astrée a exercée sur le développement du théâtre et du roman français au XVIIe siècle; et si, d’autre part, quant au cadre, quant à l’inspiration générale et quant au choix des épisodes, l’Astrée, nous le répétons, c’est la Diane, je n’ai sans doute pas besoin de tirer la conséquence.
Montemayor, dans sa Diane, avait transformé le romanesque des Amadis: Lope de Vega, vers le même temps, en transformait le chevaleresque; le dégageait de ce que les Amadis y avaient mêlé d’inutile magie ; et le réduisait, pour ainsi dire, à la seule religion du point d’honneur. Il fut suivi dans cette voie par de nombreux imitateurs, Guillen de Castro, Luiz Velez de Guevara, Tirso de Molina, Ruiz de Alarcon. Je me contente en passant de nommer, parmi tant de poètes, ceux à qui nos poètes ou nos écrivains doivent eux-mêmes l’idée de quelqu’un de leurs chefs-d’œuvre. C’est à Guillen de Castro que Corneille a emprunté le sujet du Cid; Luiz Vêlez de Guevara a fourni à Le Sage celui de son Diable boiteux; nous devons à Tirso de Molina le Don Juan de Molière; et enfin, c’est à Ruiz de Alarcon que Corneille a encore emprunté le Menteur. Un critique allemand, qui ne nous aimait guère,