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à la statistique protectionniste, de compulser les innombrables documens, officiels et autres, dont les affirmations contradictoires ne font qu’obscurcir cette grande question. L’intérêt public peut se démontrer par des argumens moins arides et par des preuves plus éclatantes. Il suffit d’observer quelques faits décisifs et de conclure avec sincérité.

Voici d’abord le tarif des denrées alimentaires. Le droit sur le blé, qui a récemment remplacé la franchise complète, est maintenu à son taux très élevé. On avait, en 1885, oublié le pain. Le pain est inscrit et taxé dans le nouveau tarif. Les droits sur les bestiaux et sur les viandes fraîches sont augmentés ; de même les droits sur les vins. Bref, tout ce qui se mange et se boit est taxé et surtaxé. Ainsi le veut, nous dit-on, l’intérêt de l’agriculture nationale.

La France ne produit pas, année moyenne, une quantité de blé suffisante pour la consommation et pour les semences. Elle doit acheter au dehors le supplément qui lui est indispensable. Ce n’est pas un signe d’infériorité. L’Angleterre et d’autres pays riches et prospères sont dans le même cas. Avec le commerce libre, l’achat du supplément de blé sur les marchés étrangers est une opération généralement fructueuse, à moins que la coïncidence de mauvaises récoltes dans les principaux pays producteurs de céréales n’élève les cours à un taux exorbitant. Cette opération est fructueuse, parce qu’elle implique une contre-partie, c’est-à-dire la vente des produits français en échange des blés importés. Mais, par-dessus tout, elle est nécessaire, et il est à la fois imprudent et inhumain de la rendre plus difficile et plus coûteuse par un droit de douane. Le pain est pour le Français l’aliment fondamental, comme la pomme de terre pour l’Irlandais. Le taxer est une hérésie. Il y a des régions en France, et, dans chaque région, il y a des familles en grand nombre qui n’ont pas encore le pain à leur suffisance. Au lieu de repousser de nos frontières et de nos ports les étrangers qui nous apportent le blé qui nous est nécessaire, nous devons les accueillir, car ils nous rendent service. L’insuffisance de blé est un fléau : l’abondance, de quelque part qu’elle vienne, est un bienfait.

La production des bestiaux, comme celle du blé, est inférieure aux besoins de la consommation. Nos races se sont améliorées; l’effectif du gros bétail s’est accru; les progrès de l’élevage sont manifestes, et pourtant la viande fait défaut. La viande de boucherie était autrefois, dans les campagnes et parmi les populations ouvrières des villes, un mets de luxe; l’augmentation du bien-être, par suite de la hausse des salaires, en a partout répandu le goût et l’habitude. La nouvelle loi sur l’armée, en faisant passer