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populations. Les abstentions paraissent avoir été assez nombreuses, surtout dans les campagnes ; les nouveaux électeurs ont mis peu d’empressement à exercer leurs droits. C’est là un premier fait. Un autre fait caractéristique, c’est que, sauf dans quelques contrées comme la Catalogne où les passions sont ardentes et opiniâtres, les élections se sont accomplies sans trouble, sans conflit sérieux, sans bruyantes manifestations extérieures. Les partis se sont assurément agités pendant quelques jours, la lutte a pu être vive dans certaines régions, à Madrid et dans quelques autres villes : la masse du pays est restée calme. La journée du vote, à part quelques incidens qui se sont produits à Barcelone, a été une journée de paix en Espagne. Quant au résultat, il n’a pas été absolument une surprise, il était pressenti d’avance : c’est un succès évident pour la monarchie constitutionnelle et pour le ministère conservateur qui a présidé à ces élections. On ne peut, sans doute, jamais prévoir ce que deviendra une assemblée composée de beaucoup d’hommes nouveaux, et on peut encore moins se fier aux évaluations intéressées des partis. D’après toutes les apparences ou les vraisemblances cependant, sur un peu plus de 400 élus, la majorité ministérielle compte de 260 à 280 voix. Les libéraux qui suivent le drapeau et la fortune de M. Sagasta paraissent être au nombre de 80. Il y a aussi quelques groupes dissidens ou indépendans ralliés autour de M. Martos ou de M. Romero Robledo. Les carlistes comptent à peine. Les républicains enfin ont eu leurs avantages au scrutin, avantages limités, partiels, mais encore suffisans ; ils ont de 25 à 30 représentans avec leurs principaux chefs, M. Castelar, M. Pi y Margall, M. Ruiz Zorrilla, peut-être M. Salmeron. A dire vrai, l’entrée de ce petit bataillon de la république dans les nouvelles cortès ne laisserait pas d’avoir sa gravité, si ces républicains n’étaient pas eux-mêmes fort divisés et si leur succès n’était pas compensé ou atténué par une immense majorité monarchique sortie du dernier scrutin.

Ce qui reste en définitive, tout bien compté, c’est une chambre où la majorité conservatrice est assez forte pour que le ministère puisse gouverner sans embarras et où l’opposition est assez sérieusement représentée pour que les garanties libérales ne puissent être en péril. Après cela, que les vaincus du scrutin du 1er février s’étudient aujourd’hui à pallier leur défaite en l’attribuant aux excès de la pression officielle, il faut s’y attendre. C’est une histoire invariable, plus invariable encore en Espagne que dans tout autre pays. Les dernières élections seront certainement l’objet de vives contestations devant le congrès ; elles ont déjà motivé des réclamations adressées à cette bizarre junte supérieure créée à Madrid pour veiller sur la pureté du suffrage universel. Il a pu, il a dû y avoir des excès de zèle, des abus d’autorité, des pressions locales : c’est possible, c’est vraisemblable ; mais on ne peut s’y tromper, le succès du gouvernement est dû à des