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le parti républicain, sans décliner la confiance protectrice de M. Clemenceau. Il s’est tiré habilement d’affaire. Au fond, quelle qu’ait été sa pensée intime, ce qu’il a craint, ce que nombre de républicains ont craint avec lui, c’est d’être suspects de velléités modératrices. C’est la moralité de l’incident, et la moralité survit à l’incident lui-même.

Ce que les républicains redoutent le plus aujourd’hui, en effet, c’est de paraître faire quelque concession aux plus simples idées de modération, même à la plus simple raison, et ils viennent de le montrer dans une discussion récente avec une naïveté qui touche au ridicule. Il s’agit d’une de ces lois nouvelles de protection sociale sur le travail des femmes, des jeunes filles, des enfans dans les manufactures et même dans les ateliers privés. Les divisions de partis, — la république et la monarchie ne sont rien ici, — puisque M. le comte de Mun est, avec la commission républicaine, un des plus ardens et des plus éloquens défenseurs du projet. Ce qu’il y a de délicat et presque d’insoluble tient à la nature de ces lois, au principe même de ce qu’on appelle aujourd’hui le socialisme d’état. La difficulté est de concilier les droits de la liberté et les droits de protection que l’État a le devoir d’exercer. Protéger les femmes, les filles mineures, les enfans dans leur vie d’industrie, limiter pour eux les heures de travail, décréter l’obligation d’un mois de repos pour les mères en mal d’enfant, c’est bientôt dit. Rien de plus humain, en apparence, rien aussi de plus compliqué. Imposer d’autorité, sans distinction, le mois de repos à des femmes récemment accouchées, c’est supprimer le pain de chaque jour. Y suppléera-t-on par des indemnités légales ? Où cela peut-il conduire ? On entre ainsi dans une voie où éclate à chaque pas le danger des réglementations à outrance, où se pressent les impossibilités et les problèmes ; mais une des chinoiseries les plus imprévues, les plus étonnantes de cette discussion est certainement ce qui s’est passé au sujet de la fixation du jour de repos hebdomadaire. On est ici vraiment en pleine comédie !

Où donc, penserez-vous, est la difficulté ? Dès qu’on tient à mettre le sceau de l’obligation légale au repos hebdomadaire, le jour n’est-il pas tout désigné, tout fixé d’avance par les habitudes, par le consentement universel ? Voilà justement la terrible question ! Ces républicains, qui tranchent si lestement les plus délicates questions du travail, ne peuvent se décider à inscrire le dimanche dans leur loi ! Le mot seul brûle leurs lèvres, et le président de la commission vient dire gravement que ce qu’on leur demande, c’est « un acte de confession religieuse et un acte de contrition, » une capitulation du laïcisme, quoi encore ? Une résurrection de la loi de 1814 sur l’observation du dimanche ! Est-ce bien possible ? Mais enfin, cet honnête dimanche, il est dans les traditions, il est dans les usages de tous les temps et de tous les pays. Il est tellement entré dans la vie populaire qu’on n’a jamais pu le