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la paix se manifestant tantôt à propos d’une œuvre dramatique interdite au théâtre, tantôt à propos d’une loi sur le travail des femmes, et, s’il y a, à travers tout, des incidens sérieux, il y en a vraiment parfois d’une puérilité presque comique.

Qu’est-ce que cette aventure du Thermidor de M. Sardou, qui serait déjà oubliée si elle n’avait pris à l’improviste une autre signification ? Au fond, c’était assurément l’affaire la plus simple du monde. Il aurait suffi d’un peu de tranquille fermeté pour sauvegarder, comme on l’a dit, la liberté de l’art dramatique aussi bien que l’ordre public médiocrement menacé, et dans tous les cas, si des explications devaient se produire en plein parlement, elles ne semblaient pas destinées à dépasser des proportions assez modestes. Là-dessus survient M. Clemenceau avec l’intention évidente de grossir l’incident et de s’en servir dans un intérêt politique. M. Clemenceau ne s’en est pas caché, il s’est plu, sous prétexte de défendre l’indivisibilité de la révolution française, à tout confondre, 1789 et 1793 ; il a pris un âpre et dangereux plaisir à remuer les souvenirs les plus douloureux, à raviver de vieilles passions, de vieux ressentimens, à parler des émigrés, de la Vendée, pour arriver à cette conclusion étrange, qu’on n’est pas plus avancé aujourd’hui qu’il y a un siècle, que la lutte continue, que la révolution doit toujours se défendre. Cette déclamation d’une véhémence ardente et calculée, on la connaît, elle n’a rien de nouveau, elle résume et concentre toutes les banalités de la rhétorique révolutionnaire. Elle a de plus un inconvénient : elle ressemble aujourd’hui à un anachronisme, elle ne répond plus à rien de réel. Est-ce que la société française, refaite par la révolution et, il faut l’ajouter, par Napoléon, est aujourd’hui ce qu’elle était il y a un siècle dans le feu des grandes luttes ? Est-ce qu’il y a quelque part une émigration, une Vendée ? Est-ce que toutes les classes françaises, si on peut se servir encore de ce mot de classes, ne sont pas pétries dans le même moule national comme elles se sont confondues, quand il l’a fallu, sous le même drapeau ? Mais au contraire, ce qui fait la supériorité de la France, ce qui serait sa force et sa garantie dans des crises nouvelles, c’est justement d’être délivrée de ces divisions sociales, de ces antagonismes intimes qui sont la faiblesse d’autres grands empires ! N’importe, M. Clemenceau a lancé un de ces manifestes de guerre qui ont toujours leur effet sur les esprits faibles, sur les républicains timides, et ce qu’il y a de curieux, c’est que, lorsque M. le comte Albert de Mun, avec une généreuse émotion, a demandé au gouvernement s’il acceptait la solidarité des idées de M. Clemenceau, le gouvernement n’a pas pu se décider à répondre bien nettement. Il n’a pas défendu les « excès » de la Terreur, (on ne peut pas lui faire l’injure de supposer qu’il en ait eu seulement la pensée. Il est resté assez vague dans ses explications. Il a parlé de gouverner avec