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La Revue des Deux Mondes m’a fait l’honneur de s’occuper de mon livre (la Criminologie) dans le numéro du 1er janvier 1891, article Crimes et peines, par M. Desjardins.

Je demande la permission d’occuper, pour un instant, les lecteurs de la Revue, afin de rectifier deux assertions : l’une aux pages 186-187, l’autre à la page 185.

M. Desjardins a cru que, pour appliquer dans toute sa rigueur l’idée darwiniste de la sélection, j’ai proposé d’empêcher la transmission héréditaire des penchans criminels, moyennant l’éviration des délinquans les plus féroces et abrutis. Il s’en faut de beaucoup que je me sois laissé entraîner à avancer une proposition de ce genre. Il y a certainement malentendu. M. Desjardins cite la page 269, sans dire s’il parle de la première ou de la deuxième édition de mon livre. Or la page 269 de la deuxième édition s’occupe d’un autre sujet. Celle de la première édition contient les lignes suivantes :

« L’antiquité punissait implacablement les fils pour les fautes de leurs pères. Notre époque, plus civilisée, devrait seulement empêcher la procréation d’individus qui, suivant toute probabilité, seront des êtres méchans et abrutis.

« Notre époque ne doit pas punir les enfans des délinquans, mais elle devrait empêcher qu’ils naissent ; elle devrait produire, par la mort des délinquans, ou par l’isolement perpétuel de leur sexe, une sélection artificielle par laquelle la race serait moralement améliorée. »

Ce qui suit constate le fait que l’humanité est de nos jours plus douce, moins passionnée et qu’elle résiste mieux aux instincts violens et brutaux, qu’il n’en était aux siècles passés, et que les moyens énergiques employés auparavant contre les criminels ont eu, sans doute, leur part à l’épuration de la race.

Il est évident par là que non-seulement je n’ai pas fait la proposition que l’on m’attribue, mais qu’une idée pareille ne m’est pas même venue à l’esprit ; le mot « isolement de leur sexe » le prouve. On ne détruit pas ce qu’on isole. C’est un équivalent, — répondra-t-on. Soit, mais cet équivalent n’est pas une mesure brutale et indigne d’un peuple civilisé, mesure à laquelle je n’ai pas à me reprocher d’avoir songé, encore moins de l’avoir proposée. M. Desjardins écrit, page 185 : « M. Proal, conseiller à la cour d’Aix, et l’un des adversaires de la nouvelle école, blâme à bon droit le magistrat napolitain de citer avec admiration les terribles exécutions d’Henri VIII et d’Elisabeth qui, en débarrassant la société des men-dians et des vagabonds, ont opéré sur le sol anglais une sélection importante, et d’avoir fait des vœux pour que l’œuvre d’épuration fût continuée. »