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réserve, Mac Laughlin ; on espérait obtenir d’elle quelque aveu d’imposture, à tout le moins des renseignemens sur la retraite de son fils. Elle se présenta avec assurance. A la première question qui lui fut posée : « Qui êtes-vous et quel est votre nom ? » elle répondit sans hésitation : « Je suis la mère de Christ, descendu de nouveau sur cette terre pour la reconstruire. Elle appartiendra désormais à l’Indien, son peuple élu ; elle s’étendra beaucoup plus loin dans l’ouest, recouvrant les grandes eaux du soleil couchant. L’est, avec les blancs qui l’habitent, sera englouti. Sur la terre nouvelle de l’ouest erreront, comme autrefois, de grands troupeaux de bisons ; les Indiens morts ressusciteront et désormais vivront en paix. Nul n’aura le droit de leur dire : « Fais ceci, va là. » Puis, traçant sur le sol une ligne imaginaire, elle fit le geste de la franchir et reprit : « Alors il n’y aura plus de réserves ; le grand chef des blancs ne dira plus aux Indiens : a Revenez ici, rentrez dans vos enclos. » Et avec l’éloquente mimique de sa race, donnant à ses traits réguliers une expression de douleur et de honte, elle repassa la ligne imaginaire, personnifiant l’insurmontable répugnance de l’Indien condamné à vivre dans des limites imposées. Aux questions qui lui furent faites pour découvrir la retraite de son fils, elle opposa un silence absolu, et son visage, redevenu impassible, ne trahit aucune émotion quand on la ramena dans sa prison.

Loin de calmer le fanatisme des Indiens, cette scène, à laquelle nombre d’entre eux assistaient, ne fit que l’enflammer. Les prophéties se multipliaient ; l’heure approchait, disait-on, et le messie annonçait que les événemens prédits s’accompliraient « avant que l’herbe nouvelle eût trois doigts de hauteur, » c’est-à-dire au printemps de 1891. En attendant, les Indiens devaient se préparer, par des danses religieuses, à hâter l’avènement de l’ère promise.

Quel était ce messie ? Ceux-mêmes qui l’avaient vu ne pouvaient le dire. Il n’apparaissait que voilé, nul ne connaissait ses traits. Il se montrait tantôt sur un point, tantôt sur un autre, et ses apparitions, presque simultanées dans des localités éloignées, firent supposer qu’il avait des complices. Il éludait toutes les recherches, et les scouts les plus habiles ne parvenaient pas à le surprendre. Les scouts, espions ou éclaireurs, recrutés par les Américains parmi les Indiens eux-mêmes, bien payés et bien traités, constituent, en temps de paix, un corps de police ; en temps de guerre, ils servent de guides aux troupes, et, par leur sagacité, déjouent souvent les embûches et les pièges tendus par leurs compatriotes. Eux-mêmes, cette fois, étaient en défaut ; leurs rapports concordaient sur la gravité de la situation, sur les progrès que faisait, parmi les