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des présidios. Ils n’en furent pas moins dépossédés, chassés dans les montagnes, et ce ne fut qu’en 1883, sur l’initiative d’une femme de grand cœur, Mrs Hunt-Jackson, que justice fut enfin rendue aux rares survivans[1].

A l’ouest comme à l’est des montagnes Rocheuses, les mêmes causes produisaient les mêmes effets. L’antagonisme des deux races s’accentuait, et l’inévitable résultat rendait l’Indien plus désespéré, le blanc plus impatient d’en finir. Les torts n’étaient pas tous du côté de celui-ci, ni l’agression toujours de son fait. Bien des colons innocens payèrent de leur vie des actes d’iniquité qu’ils blâmaient ; d’odieuses tortures infligées par les Indiens à des femmes et à des enfans exaspéraient contre eux l’opinion publique. Ils frappaient en aveugles et l’atrocité de leurs vengeances faisait oublier l’intensité de leurs souffrances. Vainement le gouvernement s’interposait ; il était souvent trop tard. Les événemens paralysaient ses efforts, et son intervention pour prévenir un conflit aboutissait presque toujours à une expédition militaire pour réprimer une insurrection.

Puis, la détestable coutume de considérer les emplois publics comme le butin du parti politique au pouvoir fait, des fonctions d’agens des réserves indiennes, la récompense de politiciens influens. Ces fonctions sont lucratives ; on s’y enrichit rapidement au détriment de l’Indien lésé et du gouvernement trompé. La fraude s’y pratique sur une colossale échelle ; pas un rapport annuel au congrès qui ne la signale. En 1873, le comité d’enquête conclut en suppliant le gouvernement de prendre d’énergiques mesures « pour débarrasser le service indien des bandits qui l’exploitent, volant à la fois le trésor public et l’Indien[2]. » En 1874, le rapport constate que « l’agent des Cheyennes reçoit des rations, de l’argent, des couvertures et des vêtemens pour 3,905 Indiens, alors qu’en réalité la réserve n’en contient que 2,077 ; il s’approprie le surplus, soit, par jour, la subsistance et l’entretien de 1,828 Indiens. Celui des Arapahoes déclare 2,366 Indiens sur la réserve ; il n’en a que 1,304 ; en moins d’un an il s’est enrichi. S.-C. Haynes écrit : « Les Indiens meurent de faim, car les agens ne se contentent pas de demander à l’Etat plus de rations et d’argent qu’ils n’ont d’hommes ; ils gardent l’argent et suppriment les rations de ceux qu’ils ont. Pendant deux mois, les Piégans ont vécu d’écorces d’arbre, et pendant ces deux mois 200 ont succombé aux privations[3]. »

Car, plus encore que les violences des blancs, que l’iniquité des

  1. Mission Indians, par Mrs Hunt-Jackson. Century, vol. XXVI.
  2. Report of committee of Indian frauds, 1872-73.
  3. J.-P. Dunn, Massacres of the Mountains. Harper brothers, New-York.