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lentes à se replier, ils envahissaient la réserve, couvrant le sol de tentes, dressant en hâte les maisons de bois qu’ils traînaient après eux, édifiant une ville là où la veille était le désert. M. A. de Chanclos a raconté ici même ce curieux épisode de la colonisation américaine[1].

Depuis près d’un demi-siècle, pas une année ne s’était écoulée sans amener avec les Indiens quelque complication nouvelle. Ces premiers occupans du sol, dépossédés par la civilisation envahissante, refoulés toujours plus avant dans l’ouest, acculés aux montagnes Rocheuses que l’Américain franchissait, débordant sur le versant du Pacifique, refusaient de quitter leur terre natale, protestaient et se soulevaient.

Ils avaient le droit pour eux ; ils avaient contre eux le nombre, la force et la supériorité intellectuelle. D’où venaient-ils ? d’Asie, très vraisemblablement. Le détroit de Behring n’est guère plus large que la Manche ; il gèle une partie de l’année, et les Tchoukas, l’été dans leurs canots, l’hiver avec leurs traîneaux, le franchissent en peu d’heures, passant d’Asie en Amérique, trafiquant avec l’un et l’autre continent. Ce point de départ de la race ne fut longtemps qu’une hypothèse, mais les découvertes récentes la confirment, et elle rend compte de la prédominance du type asiatique ou mongol chez les Indiens.

Quel était leur nombre quand l’Européen débarqua en Amérique ? Sur ce point l’imagination s’est donné libre carrière. Le général Custer a parlé de dizaines de millions, mais le sol des États-Unis n’eût pu les nourrir. Schoolcraft, posant en principe que 8,000 acres de terres incultes étaient nécessaires pour un nomade vivant de la chasse, a conclu que leur nombre ne pouvait excéder 250,000, mais outre qu’alors, et il y a trente ans à peine, les bisons erraient en troupeaux immenses dans les plaines de l’ouest, où le général Sheridan voyait la marche de son armée retardée par une bande de plus de 100,000 de ces animaux, la découverte, en 1852, par le lieutenant J.-H. Simpson, des pueblos du Nouveau-Mexique, ainsi que les recherches sur les anciens Mount Builders, ont mis hors de doute que les Indiens ne vivaient pas exclusivement de la chasse et de la pêche, mais aussi qu’ils cultivaient le sol, bien que d’une façon grossière. On a donc pu estimer qu’à l’époque où les colons européens prirent contact avec les Indiens, le nombre de ces derniers pouvait s’élever à près d’un million, réparti sur les 9,212,273 kilomètres carrés qui représentent la superficie actuelle des États-Unis.

  1. Peaux-Rouges et Visages pâles. Voyez la Revue du 15 juin 1889.